Dans ce laboratoire fumant qu’est le biopic hollywoodien, Mémoires d’une geisha est un produit à l’équilibre rare, reposant sur une écriture fine et précise et sur la technique très sûre du bon artisan Rob Marshall. L’histoire, d’abord : quelques années avant la Deuxième Guerre mondiale, Chiyo, une petite fille japonaise pauvre, est arrachée à sa famille pour devenir servante dans une maison de geishas. Mais bien vite, elle se retrouve plongée au milieu d’une lutte de pouvoirs qui va la pousser à devenir l’instrument d’une geisha de la demeure voisine. Un à un, Chiyo apprendra donc les trucs et techniques pour devenir bientôt la plus grande geisha du pays. On a connu projet plus enthousiasmant, c’est sûr. Impossible, pourtant, de ne pas savourer le travail d’orfèvre réalisé pour atteindre à la légèreté des 2 heures 20 que dure le film.

La légèreté : voici ce qui sauve précisément Mémoires d’une geisha, écriture fleurie et rythme aérien. Non dans la manière de multiplier les clichés du genre dans une boulimie très industrielle (rivalités basiques, performance hollywoodienne enrobée de folklore japonais, personnages qui parlent tous Anglais), mais dans cette écriture échevelée, sûre d’elle, qui donne au film son rythme et sa vitesse de croisière sans jamais faiblir. On peut à la limite voir Mémoires d’une geisha comme une sorte de dérivé light et trivial du splendide Secret de Brokeback mountain : le folklore et l’esthétique carte postale, le recours à toute une mécanique interne parfaitement huilée y sont moins le signe d’un avilissant mercantilisme que le symptôme toujours renouvelé de la santé éclatante de formes pleines et de figures inusables de récit ou de mise en scène : la pérennité d’Hollywood comme mythe et tradition à qui se rendre en toute tranquillité.

Le mouvement est inverse de celui de Brokeback (un cinéaste asiatique à Hollywood) et c’est probablement la part la plus intéressante du film : intégrer une histoire purement orientale à une structure hollywoodienne en diable, ce que redouble le mouvement historique du film (avec l’arrivée des soldats américains sur le sol japonais au moment de la capitulation). Zhang Ziyi brille dans cet espace géographiquement indécidable, les rebondissements s’emballent, aucun forçage ne vient rompre la densité romanesque du film et ce travail de digestion et d’intégration d’un monde de mystère et d’étrangeté -comme peut l’être celui des geishas. Batterie d’artifices bien sûr (la voix-off), forme basse et sans signature, mais y bat un cœur aux ressources inépuisables : ample, fluide et cristallin, Mémoires d’une geisha flotte dans une immanence qui n’en fait pas un grand film, mais une oeuvrette souveraine qui force le respect.