Passée la mini-révolution formelle générée par le premier épisode, que reste-t-il, aujourd’hui, du phénomène Matrix ? Entre-temps, les pompeuses sorties « à fragmentation » se sont multipliées (Star wars, Le Seigneur des anneaux, Harry Potter, etc), et sur ce point, Matrix s’en sort bien : la longue attente créée par les trois années séparant le premier opus de celui-ci, et celle beaucoup plus courte qui nous promet le troisième, replongent le spectateur dans le bain, un savant mélange de force (impossible de passer à côté) et de subtilité (on est loin de l’aspect « programmatique » des autres films cités).

Le film lui-même se situe dans le même entre-deux : ni tout à fait soufflant, ni vraiment en deçà du niveau attendu, c’est-à-dire, et de très loin, bien supérieur au niveau ambiant des blockbusters traditionnels (américains s’entend : Fanfan la tulipe restant une minuscule crotte de pigeon en comparaison des pire produits importés d’Hollywood). Pour l’aspect déceptif du film, il faut noter un caractère parfois brouillon et des effets spéciaux souvent moins travaillés que dans le premier épisode (les clones numériques, parfois limite), malgré une profusion dont ressortent forcément quelques tours de force assez phénoménaux (toujours le fameux jeu sur l’accéléré et le ralenti, qui ouvre sur des moments de pure poésie digitale). Mais c’est de cet aspect parfois brouillon, inhérent au film-intermède (entre le 1 et le 3) que Matrix reloaded tire simultanément sa force : comme si, une fois imposée l’esthétique singulière du premier épisode, n’importaient plus désormais que l’énergie et le fun du concept. Dès lors, le moindre SPFX qui aurait paru insensé il y a encore deux ans devient une sorte de norme, un simple gimmick dont le film s’amuse à décliner toutes les potentialités (les scènes de combat, sorte de leitmotiv qui reviennent comme de pures récréations).

Les frères Wachowski, visiblement, sont passés à autre chose. Les longues scènes d’exposition qui plombaient le premier s’illustrent désormais à travers des scènes beaucoup plus « romanesques » (la menace de guerre apocalyptique créée par le monde des machines prend vraiment corps ici). Le récit, bien que complexe et fumeux, se fluidifie en une guirlande de scènes qui, si elles semblent parfois déconnectée les unes des autres (comme dans un jeu d’aventure : « la » scène avec Monica Bellucci, « la » scène du maître des clés, la poursuite d’un quart d’heure), créent une tension à la fois dense et picaresque, renforcée par la mise en scène très fluide des Wachowski. Beaucoup d’énergie et de simplicité, donc, et surtout une force dramatique amplifiée (la relation amoureuse belle et décalée, loin des canons du genre, entre Neo et Trinity est sûrement la plus belle idée du film), font de Matrix reloaded l’une des plus belles « demi-surprises » de l’année.