Modestement annoncé comme le « choc de la décennie » ou un « chef-d’oeuvre absolu » (ou quelque chose dans le genre), Martyrs débarque sur les écrans. Dommage que ce genre d’effet d’annonce ultra kéké – probablement accentué par le fait que le film fut longtemps menacé par les pignoufs de la censure – tronque à ce point la vision du second film de Pascal Laugier. Celui-ci tente beaucoup de choses, et le film touche par son envie d’en découdre, sa sincérité à toute épreuve, cette manière de se jeter corps et âme au front d’un genre qui n’existe pas, sorte d’outre-espace national (l’horreur made in France). Après le nitouche Saint-Ange, confit dans sa gelée maniériste hyper poseuse, Martyrs fonce tête baissée dans son intrigue traversée de secrets inavouables (deux jeunes femmes qui cherchent à en découdre avec de mystérieuses forces intérieures) et d’éprouvantes séquestrations dans les abysses d’un pavillon très clean. Le problème, c’est que passé ces intentions brutes de décoffrage, il reste à faire un film : or, sur ce point, Martyrs ne reste qu’une ébauche, une sorte de brouillon de pistes se cherchant en permanence, calant à plusieurs reprises pour repartir un peu plus boiteux à chaque nouveau tiers.

La montée en puissance espérée s’en trouve ruinée, d’autant que Martyrs s’embarrasse d’une façade messianique absolument imbitable dès lors qu’elle s’expose en toute frontalité (l’arrivée fatale d’une mémé comploteuse et derrickienne pète littéralement le film en deux). Canaliser l’énergie – assez admirable, on le répète – mise dans un tel film ne revient pas au metteur en scène, c’est le boulot d’un corps de métier (la production) tragiquement absent dans le cinéma de genre français – à moins de s’en remettre à l’entreprise de phagocytage idéologique d’un Besson. C’est le plus grand problème de Martyrs, cette impression de voir un cinéaste patiner seul dans un espace de liberté béante, flottant dans un costume trop grand pour lui. Abandonné ainsi à ses doutes, Laugier en rajoute dans le Grand-Guignol quand un zeste de cruauté suffirait (la scène éprouvante mais assez vaine de séquestration de la dernière partie, quelque part entre Noé et L’Expérience interdite) tandis qu’il court après l’essentiel pendant les deux premiers tiers (où ça part vraiment dans tous les sens). Le recours à l’imagerie, avec tout son cortège mystique (lumière blanche au bout du tunnel et tout le tralala), ne suffit évidemment pas à sauver du naufrage l’héroïque tentative – il la coule une seconde fois.