Barbet Schroeder est un cinéaste singulier, à la trajectoire difficile à appréhender. Pas facile de s’y retrouver, en effet, entre ses documentaires sur Idi Amin Dada, Koko le gorille (qui parle) ou Vergès (L’Avocat de la terreur), ses polars et thrillers à froid (Le Mystère von Bulöw, L’Enjeu, JF partagerait appartement), et ses escapades étranges, difficilement assignables à un genre (La Vierge des tueurs, Barfly, Before and after, Maîtresse). Sans doute un peu sous-estimé, Schroeder marque ses films, si différents soient-ils, de sa main sûre, une assurance olympienne où l’on sent l’impact des formes classiques autant que son goût pour le genre et les expériences marginales. Ses films déroutent toujours, et vous prennent à revers.

Inju est une adaptation de l’écrivain Edogawa Rampo, père du polar nippon dont l’univers sulfureux, sanguinaire, SM et fantastique a souvent été transposé au cinéma (de Fukasaku à Tsukamoto, en passant par Masumura). Magimel y incarne un admirateur du mystérieux Shundei Oe, auteur de best-sellers violents et amoraux, dont nul ne connaît l’identité. Lui-même écrivain de polars à succès, il débarque au Japon pour promouvoir son nouveau roman, avec en tête l’idée de rencontrer son maître. Celui-ci lui fait comprendre peu aimablement qu’il n’en a aucune envie, tandis que le Français, entre deux dédicaces et deux interviews, se noie dans les beaux yeux d’une geisha qui lui demande de le protéger contre un ancien amant revenu des ténèbres pour la menacer, et qui pourrait bien n’être autre que Shundei Oe.

Il y a d’emblée un problème avec Benoît Magimel, d’ordinaire si bon dans l’outrance (cf. le dernier Chabrol, La Fille coupée en deux). Là, forçant le trait dans la peau de l’écrivain sûr de lui, évoluant dans un Japon dont il croit tout connaître alors qu’il est le dindon de la farce, il ne brille pas par la nuance de son jeu et peine beaucoup à imposer son personnage, comme s’il ne savait s’il fallait ou non le décaler de sa ligne de conduite. C’est que, précisément, tout le film tient là : dans un jeu de bascule entre le réel et le faux-semblant, où la réversibilité se montre partout et se cache en même temps. Entrez dans le monde du fantasme et perdez vous, peut-être qu’il ne sied rien de mieux au mal que le visage le plus doux, regardez au fond du précipice et vous n’y trouverez que votre propre reflet, etc. Autant de thèmes passionnants mais un peu gros que Schroeder choisit non sans habileté de traiter le plus simplement du monde une intrigue à double-fond façon La Femme au portrait, avec un twist final mastoc, avec aussi une forme de naïveté où se mire tout ce que le film interroge. C’est habile, mais c’est aussi là que le bât blesse : un peu à l’image de la prestation de Magimel, Inju fait ricocher l’adhésion à son intrigue sur une espèce de classicisme brinquebalant et pas toujours convaincant. Difficile, donc, d’entrer dans ce récit à ficelles et tiroirs, dont les angles parodiques et distanciés finissent par heurter. Là où L’Enjeu, par exemple, réussissait à concilier une sorte de candeur boiteuse qui au final s’avérait envoûtante, Inju n’y parvient jamais vraiment, ne réussit pas à transcender sa matière premier degré, si bien qu’il peine à démentir l’impression qui nous étreint tout au long du métrage, celle d’assister à un spectacle sur le faux-semblant qui n’aurait pas de revers.

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