Le vent tourne pour Lars Von Trier, estampillé jadis visionnaire sulfureux, reconverti un moment pataud penseur pour soirées privées, où sa caméra digitale, ses concepts top expérimentaux et ses vannes néo-marxistes trouvent encore ça et là quelques oreilles attentives. Ainsi s’inscrit Manderlay, dernier carton d’invitation cannois en date, en fait une photocopie du précédent, Dogville : format de plus de 2 heures (pour un film d’auteur, ça fait plus sérieux), plateau austère et dépouillé, radioscopie ou plutôt coloscopie des Etats Unis, bon client toujours de bon ton de chahuter. Seules quelques couleurs changent, plus ou moins volontairement : Bryce Dallas Howard (Le Village) succède au pied levé à Nicole Kidman dans le rôle de Grace la martyre et la communauté vénéneuse passe du wasp au noir. Car, attention les yeux, Manderlay n’est pas un film mais un chapitre d’une trilogie en construction sur l’Amérique, un gros chapitre même, bavard, pénible et épouvantablement roublard.

Allons-y donc. Sur une route d’Alabama, Grace croise un groupe de travailleurs agricoles noirs tenus en esclavage par une fermière colonialiste. La jeune femme les affranchit et leur enseigne les règles de bases de la démocratie. Tous s’y plient sans broncher sauf un, bel éphèbe fier et méfiant pour qui Grace souffre d’un désir brûlant. Le début de la fin bien sûr, qu’une sécheresse météo précipite encore un peu plus et LVT retourne sa crêpe, en bon néo-réac tout fier de lui. Sans jeu de mot, personne n’est blanc ni noir, la tyrannie se mue en asservissement et la naïveté la plus pure bute sur la perversion la plus rampante. Bref, l’Amérique, c’est moche, la démocratie, on ne peut pas l’imposer aux autres, le progrès n’existe pas, vastes sujets maintes fois et mieux fouillés, que la mise en scène croit transfigurer dans une caricature affligeante. Ce coté petit théâtre post-moderne qui transpire la performance chic et la métaphore laborantine n’a même plus pour lui le goût de l’inédit que proposait Dogville. Tout Manderlay n’est que pose étriquée, impasse artistique desséchée mais surgonflée d’orgueil où la moindre approximation pathétique se voit quintessencielle. Dénudement maximum des personnages (pauvres acteurs), épure du décor, on ne distingue que mieux la banalité du discours, assurément en première ligne. A ce niveau-là, ça fait mal aux yeux.