A prendre avec de bienveillantes pincettes, le travail ambitieux et complexe d’Olivier Zabat. En guise d’avertissement, se souvenir que la présentation de Miguel et les mines (dont 1/3 des yeux est une sorte de prolongement et d’accomplissement) au festival de Belfort il y a quelques années suscita un violent tollé. Des injures ont fusé, des accusations très graves parfois. C’est vrai, Zabat manie de la dynamite, et pas seulement parce que Miguel et les mines traçait le portrait d’un démineur professionnel au Kosovo. Pas seulement non plus parce que son travail, dont la diffusion se partage entre salles de cinéma et musées, bouscule violemment une certaine doxa documentaire qu’en France on se plait à pérenniser.

La dynamite de 1/3 des yeux est toutefois bien enfouie. D’abord, on ne sait pas d’où le film part, à quel prétexte il s’accroche pour se lancer. Depuis un laboratoire de traduction, on file vers un entraînement de boxe, on parle déminage avec un Ecossais, on visite un spécialiste des lésions oculaires, puis un zoologue découvreur d’un mammifère inconnu, dont l’ami a été tué par un grand fauve. On suppose alors que d’une matière épars, un agglutinement d’images et de rencontres, se construit silencieusement une image, un sens comme on dit. C’est à peu près cela, encore que, finalement, l’image construite est absolument souterraine, loin de la surface et loin des yeux, mais qui vous tord le ventre. Et quelle serait cette image ? Une pure image de la terreur. Dans la faillite des processus et des organismes que le film saisit en réalité (traduction, blessures, luttes violentes, etc.), c’est une sauvagerie qui remonte, en tout silence, du fond des choses.

Cinéma terroriste, alors ? Un peu sans doute. Quelque chose gronde ici, un peu à la manière des films d’Arnaud des Pallières (Disneyland, mon vieux pays natal par excellence). Cinéma de la force, de la tension, de la violence détournée du spectacle et rendue à sa puissance primitive. Une inquiétude saisit chaque image, la fait trembler sans que rien ne soit apparent. Nul geste formel fort ici, mais au contraire des images cadrées simplement, une caméra que l’on devine petite, aucun effet, rien. Mais toujours un indicible (plutôt qu’un refoulé) insiste sous la peau des choses et des images. Le film entend un pouls dans le désordre fragmentaire du monde. Et il n’est pas de raisons de penser que ce battement-là est totalement pacifique. Ce a pu déranger, ici, est que le cinéaste, dépourvu volontairement de tout l’arsenal du doc (le classique point de vue en premier lieu), ne se montre pas insensible à cette violence primale, mais au contraire la caresse comme on chevaucherait un lion féroce dans l’obscurité absolue. En cela fidèle au programme qu’il a mis en place et au dispositif qui l’exécute, il n’a qu’un horizon, le fond des choses.