Depuis son plus jeune âge, avec la caméra super 8 que lui a donné son oncle, Max filme tout ce qui l’entoure. Ses jeux d’enfants, puis, à l’adolescence, ses premières amours, jusqu’à sa rencontre avec Lucie, une jeune masseuse non-voyante. Ma Caméra et moi suppose un film qui serait celui d’un personnage ayant un rapport viscéral, névrotique, à la caméra, et dont toute la vie serait marquée par la création et le besoin d’image. « Image pour tous », nom de la société fondée par Max s’inscrit dans ce besoin qu’il croit partagé : mariages, anniversaires, vidéo-CV sont prétexte à entretenir sa névrose…

Christophe Loizillon et le scénariste-producteur Santiago Amigorena sont parvenus à créer un dispositif qui, le temps du film, renouvelle le pacte avec le spectateur : les images ne sont plus seulement l’oeuvre d’un regard extérieur mais le moyen d’expression direct du héros. Non que l’idée soit neuve (c’est un peu Le Caméraman de Keaton développé sur un mode autobiographique), mais Ma Caméra et moi, sans jamais verser dans le film concept-gadget, parvient à pousser la logique jusqu’au bout, tout en captant avec humour et finesse les émotions de Max. Jeune homme solitaire, version sentimentale et comique du Peeping-tom de Michael Powell, Max choisit d’assumer son vice. Jamais voyeur, acteur et témoin de sa propre vie, il ne parvient pas à combler ce qu’une psy appelle doctement son « manque affectif ». Ainsi, derrière la trame des images vivantes, Ma Caméra et moi est une bluette mélancolique s’approchant d’un « fabuleux destin » : peu d’événements, quelques rencontres, une alternance entre le désir et l’impuissance de vivre. Entre burlesque et vitalité tragi-comique, les images de Max répondent aux seules impulsions affectives, voire corporelles (il finit même par encastrer sa caméra dans son bras plâtré), et trouvent pourtant un étonnant équilibre au montage.

La meilleure performance du film reste sans doute celle du chef opérateur, se retrouvant dans la situation de penser l’image comme étant celle du personnage, et donc de se comporter en acteur. Cette étonnante permutation des rôles, pied de nez à toute hiérarchie cinématographique (celle de l’équipe comme des images), n’entre pas en conflit avec la substance humaine du film, dense et réelle. Ce qui permet à Ma Caméra et moi de fonctionner sans effort et d’exploiter naturellement, loin de tout racolage intellectuel, son dispositif fructueux.