Quelque part entre Mufflins et Groville, Benoît Delépine et Gustave Kervern fabriquent depuis trois films (Aaltra, Avida, Louise-Michel) un cinéma dans lequel on peut identifier aisément des traits communs, autant dire un style, et pourtant ce n’était peut-être pas là que les destinait leurs pedigree télé. On s’attendait davantage à ce qu’ils filent un coton proprement Canal+, ainsi que Benoît Delépine en avait eu visiblement l’intention en portant sur grand écran les aventures du grand reporter Michael Kael (Michael Kael contre la World News Company, dix ans déjà). Le film était raté, il fit un bide : ce n’était pas la bonne voie. Celle qu’il emprunte avec Gustave Kervern n’a rien à voir : petites productions, pellicule à gros grain (Aaltra et Avida étaient en noir & blanc), galerie de caméos qui donnent le ton (de Siné à Kaurismäki, de Noël Godin à Pierre Carles…), personnages rustres et obstinés, décors kitschs et pouilleux, appétence pour le surréalisme (qui a bon dos), pour la poésie du Nord (qui a les reins solides), pour les plans fixes (le kiné ? connaît pas), etc. Bref, l’auteurisme n’est pas loin, on l’entend ramper. Louise-Michel est plus réussi que les précédents films, mais ce n’est certes pas pour ce programme-là, que l’on goûte peu.

La simplicité du pitch (des ouvrières virées par leur patron réunissent leurs maigres indemnités pour faire buter la crapule par un tueur professionnel) et l’évidence comique avec laquelle il est posé sur la table (au bistrot, aussitôt l’idée lancée, aussitôt elle acceptée comme s’il s’agissait d’organiser une tombola) suffisent à justifier le titre, invocation de Louise Michel, la plus célèbre des Communards. Tout comme les prénoms des deux héros : Louise (Yolande Moreau, bloquée en mode Deschiens), une simplette, ex-Jean-Pierre, qui se charge de trouver un tueur ; Michel (Bouli Lanners, pas revenu de son Eldorado), mythomane pathétique, limite demeuré, ex-Cathy, « Security manager » pouilleux d’un parc de mobil-homes.

Il y a dans Louise-Michel un film que l’on suit volontiers, une fable libertaire hyper-contemporaine autour d’un crime de classe, et à travers lui sur la dématérialisation de tout, et du capitalisme : Louise & Michel se promènent de France en Belgique jusqu’à Jersey à la recherche du responsable toujours fuyant de Nin-Nin International. La chasse à ce poisson, de plus en plus gros, toujours glissant, donne corps au film en le calquant sur le rythme d’une incessante délocalisation, quand, à l’inverse, l’image surjoue l’ancrage dans un territoire (le monde ouvrier, les paysages précaire, la grisaille plus ou moins loufoque). Mais il apparaît bien vite que ce parcours-là, qui aurait le mérite en plus de dire quelque chose sur notre époque, s’il forme l’armature du film, s’efface devant la production d’une imagerie d’auteur mâtinée d’une poésie moule-frites aussi à la mode que pénible (la poésie belge, absurde et maigrichonne : on a déjà donné), se résumant à un petit tas de gags et d’images insistantes : Yolande grignote un lapin cru en gros plan, Christophe Salengro fait le gogo dancer en string, un vieux porte une collerette de chien malade, etc.

Après les films d’Abel & Gordon (L’Iceberg, Rumba), Eldorado et toute une flopée d’aventures poelvoordiennes, Louise-Michel ne fait qu’ajouter une pierre à cet édifice une peu rance, orné seulement d’images creuses mi-rigolardes, mi-déplaisantes (la séquence de la cancéreuse en princesse flon-flon qui bute un type avant de se suicider). Louise-Michel laissait croire qu’il jouerait le jeu de la révolution : aller vers l’incendiaire, l’immense (buter le patron) avec des petits-bras (cassés). Mais le film, à l’image de Poelvoorde en métallurgiste parano qui rejoue le 11-Septembre dans son jardin, fait le trajet inverse, ramenant le grand, l’immense, l’immatériel (la cartographie insaisissable du Capital) au minuscule complaisant des caravanes, des bistrots vides et des toiles cirées.