Un loser qui ne jure que par la « win », une mère courage, un homosexuel dépressif, un jeune homme ayant fait voeu de silence, un grand père érotomane et cocaïnomane, une fillette éberluée et joyeuse : voici les membres de la farfelue famille Hoover, en route pour le concours de beauté « Little miss sunshine » auquel la plus jeune de tous doit participer. Une fois de plus, le genre de film qui repose essentiellement sur ses acteurs. Moins par leur performances respectives (d’ailleurs, ils sont excellent), que relativement à un sens aigu du casting, une façon de faire cohabiter entre eux des corps hétérogènes, de les organiser comme on organise des plans de cinéma (en cela, un casting n’est idéalement ni plus ni moins que du montage), de questionner, in fine, la notion de groupe (« une famille, qu’est-ce au juste ? », semble se demander le film) et son articulation avec les individus même quand, comme ici, ils sont hyper singularisés. C’est ce qui différencie, par exemple, Little miss sunshine de La Science des rêves de Gondry, dans lequel chaque corps semblait autonome, enfermé dans sa boîte et dénué des liens que le scénario cherchait pourtant à créer entre eux. Comment un ensemble brinquebalant finit par former un agrégat cohérent, telle pourrait être la logique de Little miss sunshine, dont le personnage le plus singulier est sans conteste celui de la fillette, génialement incarné par Abigail Breslin (la petite du Signes de Shyamalan).

Pourtant, si un film est aussi la mise en valeur d’un acteur, d’un corps, d’une voix par les vertus de la mise en scène, Little miss sunshine s’avère un produit très moyen. Il suffit de comparer Steve Carell ici et dans 40 ans, toujours puceau pour saisir combien sous son apparente facture impersonnelle, le film de Judd Apatow savait comment amener un acteur dans un cadre, couper le plan au bon moment, faire durer tel geste à l’image ou au contraire l’évacuer dans le hors-champ, jouer sur la frontalité ou biaiser avec un cadre à double détente (cf. la scène où un type achète des rollers dorés en observant les deux tourtereaux). Dans Little miss sunshine, tout est littéral, chaque corps est planté dans le cadre et débite sa réplique, sa scène, son geste : les réalisateurs se contentent de les enregistrer. Ce qui n’empêche pas Steve Carell d’exercer son brio d’acteur (la belle scène des revues porno) mais jamais la mise en scène ne lui embraye le pas.

Au final, Little miss sunshine est plutôt un film anecdotique, mais c’est aussi un symptôme intéressant du cinéma indépendant US, coincé quelque part entre un étouffant et assez vain surmoi auteuriste (le récent Brick) et une dépersonnalisation croissante dans ses choix esthétiques (la veine Little miss sunshine). Car l’absence presque complète de mise en scène dans le film de Jonathan Dayton et Valérie Faris va de pair avec une façon d’éradiquer toute prise de risque, de ne jamais dépasser les bornes du « bon goût » et se colleter au trivial. Il faut voir comment l’anecdote du mort que la famille transporte dans le van n’est ici qu’un simple motif scénaristique (et pas question de voir ce corps bien sûr), là où dans 40 ans, toujours puceau la scène de l’épilation (quelque lignes dans un scénario) tenait sa puissance triviale à ce qu’elle transcendait le scénario pour s’inscrire dans la durée des plans et des comédiens. Durée des plans, durées des comédiens, deux vertus cardinales superbement ignorées ici.