Pour apprécier le premier film du comédien Kim Rossi Stuart, il faut d’abord se défaire d’un réflexe d’honnête homme : la méfiance naturelle que l’on éprouve face aux films de gosses, aux tire-larmes avec petits enfants malheureux, têtes blondes martyres, etc. -horrible sport. Pourtant, Libero, semble-t-il, n’est que ça : le point d’ancrage est Tommaso, un collégien de 11 ans, qui vit avec sa grande soeur et son père, caméraman, qui les élève seul. La mère, on apprend vite qu’elle a déserté le nid familial, plaquant tout le monde. Libero s’ouvre sur le récit de ces jours, entre le papa (Kim Rossi Stuart, himself) qui se débrouille comme il peut, responsabilisant au maximum ses mômes, et ceux-ci, tels qu’ils s’accommodent comme ils peuvent du célibat forcé de leur père. C’est difficile mais on s’en sort, et Kim Rossi Stuart, entreprenant volontiers une chanson de variété au volant de son auto, dans les rues de Rome, pousse d’un cran une ressemblance avec Nanni Moretti jusque là contenue dans le port commun d’une barbe remarquablement seyante. Jusqu’à ce moment, il n’a pas fait d’étincelles, mais il y a mis du coeur à l’ouvrage.

Puis, surprise, au bout de vingt minutes, la maman revient, et on peut enfin savoir ce que le film a dans le ventre. D’abord, une violente dispute : papa vire maman, la traitant de putain, maman pleure et s’accroche aux mollets de papa -et les enfants, s’ils ont reçu l’ordre de filer au lit, continuent d’assister à la scène, en larmes eux aussi. Ce qu’il a dans le ventre, le film, c’est la réactivation de plusieurs modèles, du néo-réalisme aux 400 coups. Et puis une générosité mélodramatique qui ne se double pas, c’est heureux, d’une imposante machinerie, encore moins d’une roublardise qui ferait croire ce qui n’a pas lieu d’être ou, au contraire, feindrait la neutralité pour mieux tacler par derrière.

Dans le « libero » du titre, c’est bien le poste de foot qui est désigné. Poste que le réalisateur entend assigner au film lui-même, contre la tentation de rester un film du milieu -exactement de la même manière que le père suggère son fils de préférer le poste de libero à celui de centrocampista (à quoi le fils répond « anche libero va bene », titre du film en v.o.). Rester un film du milieu, cela signifierait s’arc-bouter sur un contenu mélo (les gosses, la maman volage et instable, le père qui tient toute la famille au bout de ses nerfs aiguisés) et en rétribuer chaque morceau. Pratiquer la mélo-démocratie, un plan pour toi, un plan pour moi, une scène chacun -un commerce équitable des points de vue. Rester en défense, stoppeur, pour Kim Rossi Stuart, c’est plutôt déléguer tout le point de vue à l’un (le fils, Tommaso) et faire obstruction sur lui, comme on dit en foot. C’est-à-dire, ici, forcer le passage, surcharger ce point de vue en faisant du fils le témoin privilégié, ou maudit, de tout : témoin de l’expulsion de la mère, jetée sur le paillasson, témoin de l’irascibilité du père à plusieurs reprises, comme cette scène où il est forcé d’assister au scandale que son géniteur fait dans le bureau d’un type qui lui doit de l’argent. Si démocratie il y a, elle est contrainte, et la famille est sommée de se réunir au petit jour pour statuer sur le sort de la mauvaise mère (« on lui donne une dernière chance ? »).

La réussite de Libero tient là, dans cet ajustement forcé, malaisant, de tous les ingrédients du mélo-avec-des-gosses. Toujours frôler la vanité du téléfilm lacrymal, toujours se rattraper in extremis par cette injonction qui est faite à l’enfant d’excéder son rôle de relais entre le spectateur et la chronique familiale. A une musculature de mise en scène aussi huilée, tenue de bout en bout, ne manque en définitive que l’envers d’une qualité de fabrication, l’envers de la chronique du réalisme tel qu’il va mieux ici qu’ailleurs, revers un peu fou et plus terrifiant encore, dont le film ne détient pas la formule.