Certains seront un peu déçus, voir totalement ravagés à la vue du nouveau De Palma. Alors que l’on s’attendait à une reprise en main racée du type Les Incorruptibles ou Mission : Impossible, le cinéaste livre une partition filandreuse où pas grand-chose ne tient debout : académisme vieillot, personnages mal dégrossis tenus par des acteurs flottant dans leurs costumes (avec à leur tête l’insipide Josh Hartnett), gros problèmes narratifs. Même les grandes séquences maniéristes brouillonnent, par manque de motivation ou plus grave encore, par une absence totale de sens. Le Dahlia noir est donc un film malade, profondément détraqué, à moins que De Palma ne le soit lui-même. Chacun sait que l’auteur de Carrie et de L’Impasse a toujours travaillé sur l’idée de salissure et de putréfaction en « déflorant » les images idéales des autres. Ici son oeil semble gagné par cette gangrène, ce qui rend le film immensément triste et paradoxalement élégant. On y voit son entêtement à ne pas se recycler en faiseur grand luxe, à l’opposé d’un Scorsese (ce qui restera toujours plus noble et passionnant), tout en cherchant une nouvelle vitalité dans le pavé foisonnant de James Ellroy.

Le Dahlia noir est le récit d’une errance bornée, une dérive langoureuse entre grosses fatigues (un plan séquence bien lancé puis qui fait pschitt), résurgences improbables (la réapparition de William Finley, son Phantom of the paradise trente ans après) et éclats de film noir d’une envoûtante beauté, qui trouvent un impact pictural bouleversant. Ici un plan où la voiture de Bucky Bleichert s’arrête devant la maison de Kay, trônant au balcon tel un mirage érotique, là une confidence sur l’oreiller entre Madeleine et Bucky, séquence si brusquement carnée que l’on sentirait presque la peau satinée d’Hilary Swank. Par sa structure morcelée, le film est semblable au corps charcuté d’Elizabeth Short : un objet cliniquement mort, réveillé par le fantasme qu’il suscite en mille échos cauchemardesques ressassés à l’infini. Mythe de la résurgence impossible que chaque cinéaste en bout de course voudrait en vain toucher du doigt (remember Woody Allen) mais que seul Brian De Palma, par sa pugnacité d’autiste, parvient in extremis à atteindre. Grand film hanté dont les réflexes d’abstractions s’effondrent devant la passion contenue par ses propres images, Le Dahlia noir en est la preuve brûlante.