Un peu d’histoire pour commencer : au début du XXe siècle, une éminence grise d’un tsar russe fait paraître Les Protocoles de Sion, un livre monté de toutes pièces affirmant qu’un complot juif visant à dominer le monde est en cours. Colportée par Henry Ford dans les journaux qu’il possédait ou Hitler qui le cite dans Mein Kampf, cette propagande anti-sémite est devenue une légende urbaine qui a récemment ressurgi au lendemain du 11-Septembre ou par la diffusion sur plusieurs chaînes de télé arabes d’une série basée sur ce roman.

En partant d’une autre légende urbaine, selon laquelle, aucun juif ne serait mort dans la chute des Twin Towers, parce que prévenus à l’avance, Marc Levin découvre que les ventes des Protocoles de Sion ne se sont jamais aussi bien portées et tente de démonter point par point sa prétendue véracité. Les Protocoles de la rumeur est aussi un protocole de documentaire, Levin entremêlant les méthodes de Michael Moore, de Nick Broomfield (Kurt & Courtney) à une interrogation personnelle sur ses racines, pour un résultat hybride mi-enquête journalistique ou le second degré et une fausse-naïveté remplacent la carte de presse, mi-journal intime au caméscope. De quoi se mélanger rapidement les pinceaux, comme un film qui embrasse rapidement deux points de vue peu compatibles, la cohabitation entre neutralité nécéssaire et résonances personnelles, assez peu probante. A courir trop de lièvres à la fois, Les Protocoles de la rumeur s’éparpille rapidement, débordé par les multiples ramifications de son sujet. Quelques morceaux du puzzle sont pourtant convaincants, que ce soit les scènes où Levin se fait avocat du diable en voulant aller à la rencontre des juifs qui « contrôleraient » les médias et le cinéma au moment de la sortie de La Passion du Christ de Mel Gibson (Norman Lear l’envoie à Larry David, « le juif le plus côté à Hollywood du moment », qui l’envoie à Rob Reiner qui lui suggère plutôt de passer un coup de fil à… Norman Lear), ou quand il interviewe sur un ton badin des porte-paroles des différentes ligues extrémistes américaines, néo-nazies ou musulmanes qui parlent de leur fond de commerce comme le ferait un artisan du fin fond du Jura au 13h de Jean-Pierre Pernaut. Pourtant, là encore, un mélange des genres très hasardeux amène l’efficacité du ton décapant de ces scènes à se dissoudre dans des séquences-émotions bien moins finaudes, réduisant à néant une pertinente pédagogie.

Le majeur problème des Protocoles de la rumeur restant cette sensation de tourner à vide, de ne finalement apporter aucun élément nouveau au dossier. Au mieux, il finit par virer au hors sujet en devenant finalement un portrait, aussi passionnant qu’ahurissant, de la liberté d’expression américaine permettant de dire tout mais surtout n’importe quoi. La béance du gouffre laissé à Ground Zero, centre névralgique du film où Levin finit par revenir sans réponses concrètes à ses questions n’en est que plus vertigineuse.