Adaptation d’un livre de Serge Halimi qui fut beaucoup commenté, et dénonçait la progression étouffante des prescripteurs d’opinion dans les médias, ce documentaire se veut preuve par l’image, quinze ans plus tard, d’un état des lieux encore plus alarmant. Se réclamant aussi du brûlot éponyme écrit par Paul Nizan dans les années 30, lequel fustigeait une nouvelle « race » de maîtres à penser chez les intellectuels et philosophes, Les Nouveaux chiens de garde se donne donc à voir comme un pamphlet, aiguisé à partir d’un empilement d’archives accablantes. Sa cible est multiple : les éminences médiatiques, leur connivence occulte avec le pouvoir, leur prétendue « expertise » institutionnalisée par leurs pairs, et la manipulation éhontée de l’opinion publique. Tous, ou presque, passent sur le grill : journalistes (Chabot, Joffrin, Demorand), intellectuels (BHL), consultants (Minc, Attali, Duhamel), tous à la botte de personnalités influentes ou grands industriels (Lagardère, Dassaut), avides de s’offrir des médias comme porte-voix dociles et fiertés de collectionneur.

Difficile de ne pas adhérer à cette juste dénonciation d’un pouvoir médiatique tristement amnésique des préceptes de pluralisme et d’indépendance dont il se gargarise officiellement. Pour autant le film de Balbastre & Kergoat ne se présente pas moins avec un vrai problème. S’il n’y a pas lieu de s’étonner de le voir sortir en salle (quelle chaine aurait bien pu le diffuser ?), il a le malheur de ne pas y arriver le premier : Fin de concession de Pierre Carles (voire tous ses documentaires depuis Pas vu pas pris), avait, avant lui, désigné la même cible – et il est frappant d’ailleurs de voir revenir quelques moments quasiment à l’identique, tel l’épiage, en caméra cachée, de l’entrée du fameux « Siècle », club où personnalités médiatiques et politiques se réunissent tous les mois. Et là où Pierre Carles adoptait des méthodes, souvent borderline, de pure guérilla (image crade, montage chaotique, humour vache), Les Nouveaux Chiens de garde s’en tient à une certaine bienséance de l’exposé à charge, chapitré, chronologique et relayé par l’interview de sages analystes en contre-expertise.

Dommage qu’il faille ainsi en passer par ce ton film-à-dossier, avec lecture en voix off d’outre-tombe de passages cinglants du livre de Nizan et autres anachronismes documentaires – les pénibles et ringards schémas animés, façon C’est pas sorcier. Dommage, parce que le simple assemblage du magma d’archives, en soi, ne manquait pas de force. Avec lui, Les Nouveaux chiens de garde faisait un pari a priori payant : sonder un empire médiatique par la répétition et l’amas de preuves intrinsèques, parlant d’elles-mêmes. Et capter une réalité plus sournoise encore : ces fameux « chiens de garde », présents pour la plupart à l’écran depuis des décennies, ont d’abord conquis l’image et le PAF sur le temps, pour régner en maître aujourd’hui. En révélant l’omniscience de cette présence médiatique, Balbastre & Kergoat soulèvent, à plusieurs reprises, une dimension presque ésotérique de l’image : celle d’un véritable medium, qui semblait nous mettre en garde depuis bien longtemps et que personne n’a écouté.