C’est d’abord un problème physique, un coup de mou dans les jambes, les jarrets coupés dans l’effort, un gros coup de pompe : se taper le nouveau Kaurismäki, dont on jurerait qu’il a été bricolé sur des chutes du précédent film du bourru Finlandais, L’Homme sans passé. C’était bien, L’Homme sans passé, c’était pas mal -un peu surestimé aussi. Là, c’est en gros la même chose, filmée sur la même péloche fripée : mêmes images, même rythme, mêmes lumières, mêmes enjeux, même héros impassible malgré la cruauté de son destin, assis dans un décor figé fumant sa clope le regard vide, avant qu’un fondu au noir raccorde sur lui, assis dans un décor figé fumant sa clope le regard vide. L’histoire, si vous y tenez : un gardien de nuit, avec ses petits espoirs, et de méchants individus qui exploitent sa naïveté avec la complicité d’une méchante femme manipulatrice, et qui jettent le pauvre bougre dans une pelote d’ennuis, par cupidité, et qui le laissent sur le carreau. Fatigue, fatigue lourde devant ce cinéma momifié, devant ce cinéaste certes talentueux, original, mais qui semble complètement momifié au point de se livrer à l’auto-caricature, finalement, davantage qu’il s’abandonne à une auto-référence déjà bien pesante et improductive. Fatigue, fatigue lourde de Kaurismäki, qui visiblement ne sait plus quoi filmer sinon la même complainte de chien battu, toujours, et avec les mêmes outils. L’hommage à Chaplin signalé par le titre du film s’arrête justement au titre. Et Les Lumières du faubourg a le coup de barre contagieux : le film semble précéder, prémâcher le discours que l’on pourrait faire sur lui, et qui consisterait à vanter l’épure de la mise en scène, l’économie de ses moyens expressifs, la drôlerie légère et maladroite d’un burlesque cartonné, etc., etc.

C’est plus qu’une fatigue, donc, ressentie de part et d’autre de l’écran. Quand un cinéaste n’a rien à ajouter à son oeuvre qu’une simple répétition, un pauvre bégaiement, une facile reprise, il faut se poser des questions. Au moins celle-ci : où est l’inspiration, où est l’envie de filmer ? On ne la voit pas, dans Les Lumières du faubourg, on ne voit que l’accès du cinéaste à une stature muséale qui lui permet de faire passer un produit surgelé pour un sommet de création et d’originalité. Certes Kaurismäki est original par rapport à toute la production cinématographique, mais il stagne et s’embourbe dans son style, il s’encroûte. Sachant que, même dans ses meilleurs films, il est toujours à la limite d’une certaine complaisance, qui prend selon l’humeur les atours d’une nonchalance fière et boudeuse ou bien d’une paresse auto-satisfaite et propre à satisfaire un discours sur l’art du cinéma par de maigres effets de signature. Le cinéma cocker de Kaurismäki n’en sort pas grandi.