Quand il faudra constituer le corpus cinématographique définissant les « années Obama », il n’est pas impossible que les critiques et historiens aillent puiser quelques titres emblématiques au rayon de la comédie policière. C’est là sans doute que la contradiction, ou le renoncement, qui caractérise les deux mandats du président démocrate, apparaîtra de la manière la plus symptomatique – le refoulé Bush faisant son retour sous une surface cool voire progressiste. Ainsi se banalisent les images les plus violentes de dégradation physique et morale des ennemis, celles-là même dont Barack Obama voudrait ne plus s’encombrer en appliquant une politique d’assassinats à distance (lire à ce sujet la Théorie du drone, de Grégoire Chamayou) plutôt que d’emprisonnement / torture. Devenues l’objet même du rire, son moteur principal, elles ouvrent à un troisième âge de la comédie moderne, celui de la tyrannie. Aux inadaptés comme Woody Allen et aux sur-adaptés comme Will Ferrell succèdent les tyrans, types ordinaires aux aspirations frustrées qui renversent le vieux jeu comique en adoptant la figure du flic – à laquelle les premiers burlesques s’étaient tant opposés, Charlot en tête – pour mieux assouvir leur désir d’ordre.

Il y a peu de surprise à constater que Les Flingueuses (au titre original moins nanardeux : The Heat) emprunte tant à Seth Rogen et Jonah Hill, acteurs et / ou scénaristes des films séminaux du genre, Observe and report, 21, Jump street ou encore Voisins du troisième type – et tous ces films d’ailleurs pourraient bien n’être que l’extrapolation des figures de flics créées dans Supergrave. La dynamique y est toujours la même, aussi vieille que le buddy movie qu’ils ont remis au goût du jour en faisant suinter de toutes parts, sans jamais l’affirmer, le désir homosexuel, et en érigeant un véritable culte au sperme (l’alien de Voisins, pour ne citer que l’exemple le plus évident). Deux individus, mal assortis (Sandra Bullock, raisonneuse, professionnelle et esseulée / Melissa Mac Carthy, chartière impulsive à la famille déglinguée), trouvent dans les épreuves qu’ils traversent, autant que dans la violence qu’ils infligent, les conditions pour s’améliorer personnellement et former un duo. Cela ne saurait se faire, ici comme dans 21, Jump street, sans que l’appareil génital du grand méchant n’en souffre un peu, terme symbolique d’un chemin qui passe par les humiliations les plus gratuites – mais toujours commises au nom de la loi. L’évidence, cependant, est que le sexe des personnages déplace ici un peu les enjeux.


Si Les Flingueuses est moins détestable que la trilogie déjà nommée, c’est probablement qu’il repose non sur la frustration, sur un désir impossible à réaliser dans le champ de la comédie mainstream actuelle (le saut qui ferait passer un duo d’amis à un couple d’homme, et qui hante les films de Rogen et Hill), mais sur l’affirmation d’une présence et d’une compétence. C’est cela même que met en scène la séquence d’ouverture, lorsque Bullock déniche, avec un certain sens du spectacle, ce que ses collègues masculins – et le chien renifleur – n’avaient pas trouvé. Être flic n’offre ainsi pas (uniquement) le costume magique qui permet un déchaînement pulsionnel, même si c’est vers cela que tend la fable, en faisant acquérir au personnage de Bullock les « qualités » de sa partenaire, intuitive et sanguine. Il s’agit aussi de techniques, de savoir-faire qui ne se réduisent pas à une violence pure et asymétrique. C’est ainsi souvent dans le contraste entre les moyens grossiers employés et la perspicacité des conclusions que jaillit le comique. Cette compétence professionnelle se double en outre d’une douce incompétence à vivre, d’un léger et permanent décalage, sans doute la marque la plus personnelle de Paul Feig (créateur de la série Freaks and geeks). Bullock incarne parfaitement, dans sa maladroite détermination, celle qui ne se serait pas tout à fait remise d’une adolescence nécessairement monstrueuse. Reste que le trajet du film n’en demeure pas moins dirigé vers un devenir-tyrannique, comme si le dernier refuge des faibles était, hélas, devenu la force. Un remède cependant existe à cette tendance, il est français et sortira le 11 septembre. Car c’est aussi à cette aune que l’on pourra juger du Tip Top de Serge Bozon, admirable film sur (entre autres) la violence comique et la comédie de la violence.