Cette chronique, au moins pour réparer un gros oubli datant d’octobre 2006. Ce mois-là, nous avions méchamment raté la sortie en salles des Fils de l’homme qui, s’il n’a pas fait pas un carton mémorable au box office (un peu plus de 300 000 entrées), a néanmoins reçu un accueil plutôt bon. Contrairement à ses contemporains compatriotes, les éléphantesques Carlos Reygadas et Alejandro Gonzalez Iñarritu, Cuarón trace sa route là où on ne l’attend pas : venu de la télé (des tas de feuilletons, au Mexique et aux Etats-Unis), passé par le tout-venant hollywoodien (une adaptation de Dickens avec De Niro, entre autres), il se révèle vraiment avec Y tu mama también, un film mexicain à succès réputé olé olé, puis prend les commandes d’un énorme blockbuster gringo, Harry Potter, dont il s’accommode particulièrement bien. Les Fils de l’homme ressemble donc fort à la synthèse de cet itinéraire, tant il tient du blockbuster pur jus (qui s’est d’ailleurs bien planté partout, box-officement parlant) et de la comptine auteurisante. Pour aller très vite, c’est un peu Le Jour d’après de Roland Emmerich revu et corrigé par la caméra remuante des Dardenne. Il est rare, en effet, de voir un aussi gros film (budget : 76 millions de dollars) tenu par un projet de mise en scène aussi cohérent et malin, qui frotte le mini d’une virée dans la campagne anglaise et le maxi d’une anticipation globale sur une planète en pleine déconfiture. Le film est plutôt bon, bravo Alfonse.

Quelques scènes particulièrement bien foutues restent longtemps en mémoire, telle l’attaque d’une horde de coupeurs de route ou la visite guidé dans un camp retranché où se croisent millénaristes, mercenaires, sectes blancs-becs et autres djihadistes hurleurs. Elles ne sauraient faire oublier toutefois que le film est assis sur une rhétorique somme toute pas très fouillée : une fois le curseur arrêté sur une catastrophe (en l’occurrence, une infertilité universelle), tout découle sans histoire, de la plongée dans le chaos à la résurrection de l’espoir. Les bonus du DVD en rajoutent une couche. Zlavoj Zizek, qui aime beaucoup le film, est réquisitionné. Pour qui l’a vu dans The Pervert’s guide to cinéma disserter sur Les Oiseaux depuis une barque, ou analyser Conversation secrète assis sur des chiottes, petite déception : le philosophe slovène n’a pas été parqué dans un camp de réfugiés pour livrer son point de vue, hélas largement escamoté et réduit à 5 malheureuses minutes. Zizek, on le retrouve néanmoins dans un autre bonus, plus long celui-là, où une brochette d’intellectuels emmenés par Todorov ou Naomi Klein s’étendent sur l’état de la planète et son avenir. Comme Les Fils de l’homme, ce petit film vous fait bien flipper votre maman avant de vous convaincre (pas trop en fait) que tout espoir n’est pas perdu. L’alarmisme ici développé est au fond aussi creux que le film de Cuarón : difficilement contestable, il ne dépasse pas non plus le constat d’une évidence que seuls les magnats du pétrole pourraient feindre d’ignorer. Avec un peu de fiction en plus, Les Fils de l’homme se contente d’en illustrer la glauque réalité, assez efficacement mais sans vraiment la questionner.