Ne pas attendre de ce nouveau biopic de Milos Forman un joyau du niveau de Man on the moon, son précédent film. Cela relèverait de la pure gageure. Trop rebelle pour le système, trop feignant pour s’en détacher, Forman a toujours circulé sur un courant alternatif, dessinant une carrière faite de fulgurances, de grands films oubliés, voire de gros trucs lardés d’académisme. C’est le cas de cet europudding bizarroïde où le kitch le plus télévisuel se mâtine de trajectoires anarchiques, à moins que ce ne soit l’inverse. Faire du Suédois Stellan Skasgard un peintre espagnol est par nature profondément aberrant. Et quant à mi-parcours, Nathalie Portman mâchouille un vieux kleenex pour jouer la démence, plus de doute possible : on se trouve bien en face d’un film vrillé de l’intérieur, penchant par instants du côté lumineux du nanar via la malice dégénérée de ce bon vieux Milos.

Ça commence donc par un biopic assez chiant : des lithographies satiriques de Goya circulent entre les mains d’inquisiteurs qui tiennent l’Espagne à la jugulaire. Démonstration quelques plans plus tard : Nathalie Portman, modèle et surtout fille du mentor du peintre, passe à la question pour avoir délaissé un cochon de lait à la taverne. D’artiste qui dérange, Goya devient aimable serviteur : à la fois peintre officiel du régime et négociateur de la libération de sa muse. Et puis des années plus tard, invasion du pays par les troupes napoléoniennes, retour d’un ex-inquisiteur zélé en révolutionnaire convaincu (Bardem, pas mal), libération de la muse qui cherche l’enfant qu’elle a conçu en prison. Goya mène l’enquête, témoigne de la souffrance d’un peuple buriné par la guerre civile.

On comprend vite ce qui intéresse Forman : filmer les révolutions à la manière d’une chanson de gestes détraquée, saisir le cynisme du politique et la sauvagerie qu’il engendre sur la population. Bal de faux-culs, exaltations en marche forcée, idéaux qu’on porte aux nues puis qu’on brûle en place publique : le film ricane avec une élégance de vieil anar, au point de reléguer peinture et biopic à de purs prétextes ornementaux. Reste que ce détachement a certaines limites, dont celle, assez lourde, de patauger sur la forme. On sent pourtant Forman tenir quelque chose, frétiller en se frottant au baroque, à la fresque épique, mais sans jamais parvenir à en prolonger le souffle.

Bref, il joue petit bras, le film ne renonçant jamais totalement à ses origines (biopic ? gentil feuilleton ? fable grinçante ?), lesquelles remontent par paquets à la surface. La confection détaillée d’une gravure, à l’esthétique très JT de Jean-Pierre Pernaud, le didactisme historique du scénario, son coté roman-feuilleton, l’Actor’s studio de carnaval de la distribution, autant de fractures qui dépassent Forman lui-même. Dommage, car le finale, une exécution publique où tous les fils du scénario flambent dans une giclée de violence et d’ironie, laisse supposer qu’un grand film n’était pas complètement inenvisageable.