Au placard, le mythe du yakuza. Place au gangsta nippon. Avec Tokyo tribe 2, voici venu le temps des Nique-ta-mère du Japon. Tout comme notre jeunesse rêve aujourd’hui du Japon, la jeunesse – cool – nippone a les yeux rivés sur l’Amérique. Pas celle des WASP, celle des gangsta, du rap, du hip-hop, de cette culture afro-américaine qui fascine plus largement la planète entière via sa musique ou ses modes vestimentaires. Résultat : les rues de Tokyo sont parsemées de minets sapés sportswear et de clones de Beyonce. L’époque de Guerre des gangs à Okinawa (1971), film de yakuzas allumés du ciboulot signé Kinji Fukasaku, est bel et bien révolue. Aujourd’hui, la rebelle attitude, ce sont les States des quartiers chauds qui l’incarnent. Après tout, on recherche toujours chez les autres ce qu’on n’a pas chez soi. Le Japon, pacifique depuis cinquante ans, privé d’armée et doté d’une force d’autodéfense qui se borne à soutenir ses camarades du G8 lors de « missions de paix » à l’étranger, pays au taux de criminalité ridiculement bas – malgré les règlements de comptes d’usage liés à la mafia locale – rêve, de loin, de guerre et de violence. En prenant pour modèle les Etats-Unis des gangs, du rap et du hip-hop, le mangaka Santa Inoue (cousin de Taiyo Matsumoto, auteur, notamment, de Amer Béton) s’invente un Tokyo baignant dans la peur et le sang, qui fait sourire lorsqu’on connaît un peu la réalité qu’il se plaît ainsi à déformer. Comme tout auteur nippon qui se respecte, il se montre sincère dans sa démarche – il a même crée un label, « Santastic », qui regroupe ses créations mais aussi sa marque de vêtements (streetwear) du même nom – et n’y va pas avec le dos de la cuillère, histoire de privilégier l’efficacité, pour un meilleur fun. Néanmoins, malgré les décapitations et autres sévices gratinés, dans le fond, ça reste gentil.

Il faut préciser que le vrai sujet de Tokyo tribe 2 (Inoue a signé un one-shot intitulé Tokyo tribe au début des années 90, qui se concluait sur une guerre des gangs en plein Tokyo), outre la coolitude éprouvée à porter des Nike et des chaînes en or, c’est l’amitié contrariée entre deux membres de bandes rivales. Kaï, des Saru, et Merra, des Wu-ronz – les noms sont déjà tout un poème – étaient autrefois amis à la vie à la mort, mais suite aux intrigues d’un troisième larron, moche, nabot et donc forcément fourbe, Merra croit son acolyte responsable de la mort de sa petite amie. Du coup, il s’est juré, les sourcils toujours méchamment peignés vers le ciel, de tuer Kaï, aux sourcils arqués correctement et poli avec les vieilles personnes. Pour mener à bien sa vengeance, Merra s’est allié à l’homme qui a fait exécuter ses parents, le vrai méchant, le boss de fin de niveau. Nommé Boubba, non pas en hommage au « Petit ourson » semble-t-il mais plutôt au rappeur, ce yakuza gras et vicelard se fait du fric sur le dos de chacun quand il n’encule pas de jeunes hommes jusqu’à leur niquer, pardon, leur déchirer l’échine. A ce trio trop mortel, s’ajoutent une tripotée de personnages secondaires plus ou moins marquants, dont le pote rigolo de Kaï, Hasheem, et le fils de Boubba, sosie masculin de Laura Ingalls dans La Petite maison dans la prairie, première période. Aucun archétype n’est donc oublié, idem côté décor et ambiance, si ce n’est qu’on est au Japon : Tokyo craint pire que Los Angeles et New York réunies, les filles se font enlever encore plus sottement qu’en Colombie, et le sexe et la luxure suintent de chaque coin de rue. Dans une telle poudrière, normal que tout le monde se frite constamment pour un oui ou pour un non.

Malgré ce climat nauséabond, Tokyo tribe est aussi frais qu’un jus de tomate sorti du frigo : ça tache, mais c’est doux au goût. En effet, derrière sa mythologie de la violence, la série carbure aux grands sentiments. Kaï et Merra vont-ils finir par se rabibocher ? La jolie et téméraire Sunmi va-t-elle craquer pour l’un des deux ? A moins que Boubba n’en fasse son déjeuner avant l’heure ? Combien de secondes couteaux vont se sacrifier pour servir leurs héros ? Tant de courage, de romantisme, et finalement de naïveté dans un monde de brutes, franchement, ça déchire. A tel point que l’attente du 4e tome (sur 12 au total) de ce GTA light made in Japan est longue : prévu pour fin juin, le voilà reporté à mi-août. Fait hiech’.