Après Le Gone de Chaâba, retour vers le monde de l’enfance pour Christophe Ruggia. Les Diables confirme une étonnante faculté à saisir cet âge où s’entremêlent fantasmes de cruauté et féerie des évasions toujours recommencées. Joseph, un jeune orphelin de 12 ans, ne songe qu’à fuir avec sa sœur Chloé, une nymphe étrange et muette qui refuse obstinément qu’on la touche. D’orphelinats en maisons d’accueil, les deux enfants parcourent les faubourgs marseillais dans de retrouver leur maison maternelle.

Il est bien sûr question des 400 coups ou de L’Enfance nue, mais aussi de La Nuit du chasseur, dont le film reprend, entre autres références (la nuit étoilée du début, d’où s’élève la célèbre comptine du classique de Laughton), sa trame de conte fantastique baignant dans un irréel climat de douceur enchantée. C’est sur ce point -un passé du cinéma plus ou moins assumé- que Les Diables trouve aussi sa principale faiblesse : l’on sent moins ici un authentique élan de cinéma que cette volonté un peu artificielle de jouer avec un socle de références lourdes et déséquilibrantes. Alors que le film possède de réels moments d’apesanteur (une sorte de réalisme halluciné), il se trouve toujours un plan, une mimique trop poussée, un simple mouvement de caméra (les plans d’hélicoptère plutôt pompiers) pour faire basculer l’ensemble du côté de la posture maniériste et le ramener vers le pur exercice de style publicitaire. Ce manque de candeur dans le style ouvre sur l’impression d’un faux-naturel souvent irritant, dont l’exemple le plus criant pourrait être le plan de Chloé nue sous la douche directement emprunté à Carrie de De Palma.

L’ambiguïté du film vient de cet aspect presque trop maîtrisé qui fait que, malgré de sidérantes scènes (notamment toute la partie de rapprochement amoureux entre les deux héros), sa mécanique et son fonctionnement apparaissent de façon trop prégnante, à la manière d’une sorte de bel échafaudage. L’authentique cruauté du sujet -la véritable source du conte- se délite au profit d’excès de stylisation (le sang qui coule sur la vitre en vue subjective) qui nuisent à l’authenticité du projet. Les Diables, en cela, reste un film très touchant, éminemment sincère (aucune résolution de l’intrigue par exemple), mais dont la force intrinsèque se trouve comme bloquée, buttant désespérément sur la part d’indicible qui semble résister au poids de la mise en scène. Reste une expérience étrange où la puissance immédiate des scènes, en s’effaçant progressivement, laisse un sentiment de légèreté vaporeuse finalement très envoûtante.