L’hiver s’annonçait neigeux et mélancolique avec Coeurs, Les Climats confirme cette prévision. Le film suit les méandres et les infimes décrochages d’une relation amoureuse entre Isa (interprété par le cinéaste) et Bahar (jouée par sa femme, Ebru Ceylan) depuis un été caniculaire au bord de la mer jusqu’aux tempêtes de neige à l’est de la Turquie, où ils finissent par se séparer. Une affaire de couple et de paysages. La beauté du film tient à cette exigence : filmer des personnages dans un monde plus grand qu’eux, traversé par les aléas de ses saisons.

Dans un premier plan intrigant, Bahar épie on ne sait quoi en contre-champ. Un animal, un ennemi ? Non, simplement son compagnon tout absorbé par son travail de photographe. Ensuite, le jeu de cache-cache se poursuit, de surprise en surprise, on ne sait jamais à quoi s’en tenir : une image en cache une autre, un premier plan un second, la profondeur de champ infinie de la HD fait surgir des apparitions soudain presque tangibles. Aux brusques irruptions dans l’image, répondent les coups de tête du personnage principal. Une scène laisse Isa rêveur devant des photos des Bahamas, on le retrouve au plan suivant les pieds enfoncés dans la neige, et lorsqu’il semble avoir presque reconquis Bahar, il annonce son départ imminent. Ceylan interprète un mélancolique chronique toujours tenté par ce qui lui échappe. D’où sa fascination pour les ruines, son retour auprès de la lointaine Bahar et la nécessité de la quitter alors même qu’elle est tout près.

Temps couvert ? Pourtant non, Les Climats a l’intelligence de maintenir aussi une distance avec son sujet sans sombrer dans le sinistre. Quelques dérapages burlesques brisent la glace, le ténébreux et indécis Isa n’échappe pas au ridicule, il trébuche dès la première scène et sa déclaration repentie à Bahar interrompue par des ouvertures et fermetures de porte finit par la faire éclater de rire. Pourtant, omniprésent et un peu trop appuyé, l’éternel regard de chien battu du cinéaste finit par lasser. En revanche, de part et d’autre du film, le visage de Ebru Ceylan capte sans excès les aléas des sentiments, depuis cette montée de larmes de la première scène jusqu’à son récit illuminé et chantant d’un rêve heureux. Des passages plus monotones viennent ralentir cette belle variation, au milieu le scénario s’enlise dans des détours facultatifs (la maîtresse, l’ancrage social du héros dans le monde intellectuel d’Istanbul), et parfois une lenteur sur-signifiée risque d’impatienter. Mais l’ampleur du film et sa hauteur de vue méritent bien un peu de patience. Les Climats n’a rien d’un huis-clos sentimental, c’est un film ouvert aux quatre vents qui fait entrer le soleil, la pluie et la neige au coeur d’une histoire de couple.