Histoire de fantômes vietnamiens, Les Ames errantes, documentaire spartiate, séduit d’abord par son sujet, et la promesse qu’il sera tout plein de cinéma. Tho et Doan, deux anciens combattants vietcongs, partent en quête de la dépouille de leurs camarades tombés trente ans plus tôt et dont les corps, anonymement dispatchés dans des cimetières de martyrs inconnus ou restés dans le ventre des champs de bataille, n’ont pu être rendus à leurs familles. Voilà pour les âmes, donc : celles de ces corps privés de sépultures et conséquemment absente au rendez-vous avec les grands ancêtres. La belle errance du film, en revanche, c’est bien celle de ces Dupont et Dupond volontaires, s’agitant comme des beaux diables dans l’ampleur absurde de leur mystique chasse au trésor. C’est ce qui emballe ici parce que s’y dessine un beau couple de personnages, dont la cocasserie, souvent, sauve le film de sa noyade programmée dans un grand bain d’affects. Problème: le film, finalement, replonge.

L’ouverture est très belle, coups de pioche sur écran noir puis Duan, battant à l’aveuglette un terrain sec, bâtonnet d’encens en main et convoquant les ancêtres pour guider sa quête, qui demande : « est-ce que c’est le bon carrefour ? ». Bien sûr, via ces reliques que l’on cherche, à grand peine, à déterrer, c’est le corps d’une mémoire nationale qu’on voudrait exhumer. Le titre lui- même, forcément, fait penser à Rithy Pahn. Mais le film vaut moins pour cette ambition là (raconter la guerre à travers ceux qui l’ont vécue, saisir le passage d’une guerre contemporaine au tamis de la tradition et des cultes), que par l’enregistrement pointilliste de la quête. Où l’on assiste bien à la naissance des fantômes, mais selon un régime concurrentiel. Côté tradition : un grand jeu de cache-cache avec les ancêtres, sommés de guider les fouilles (et qui finit sur une improbable partie de pile ou face avec les dieux). Côté modernité kitsch : les fantômes avalés par les immenses registres des disparus au combat sont traqués sur un écran d’ordinateur et, surtout, la réfection sous Photoshop de leurs portraits de jeunesse tient lieu de séance d’embaumement virtuelle.

Ces moments-là sont le meilleur, de loin. Mais problème, on le disait : dans sa deuxième partie, le film délaisse Tho et Duan pour suivre Madame Thiep, veuve de guerre, dans une quête similaire (c’est Tho et Duan, passeurs dans le récit, qui lui ont soufflé l’idée). Et le film se laisse piéger par sa frugalité : tandis que Madame Thiep sillonne le pays à chaudes larmes, lui fait du surplace, et en voulant laisser parler l’intime (le deuil impossible, certes bouleversant, de l’adorable mamie) finit par ne plus rien dire du tout, comme cherchant son sujet lui-même parti en errance. Dommage.