Il y a des sujets tellement casse-gueule qu’on se demande tout de go ce qui a pu motiver le cinéaste : inconscience ou orgueil démesuré ? Pour s’attaquer à un thème ultrasensible comme celui de la trisomie, il faut en effet être armé contre les éventuels regards narquois de la critique et du public, indifférent à la (mini) polémique qui avait suivi la sortie en 1995 du Huitième jour -notamment l’attribution du prix d’interprétation à Cannes aux deux acteurs principaux- et avoir au moins une vague intention de dire quelque chose de neuf et d’intelligent. Mais, surtout, comment déjouer le piège du documentaire complaisant et moralisateur, dissimulé derrière le masque d’une fiction mollassonne ? Il faut un courage assez singulier à Xavier Bermúdez, jeune réalisateur espagnol (c’est son quatrième film), pour éviter la plupart des clichés attendus et ne jamais faire entendre la voix horripilante du donneur de leçons.

Exit donc, le politiquement correct : dans León et Olvido, les personnages sont loin d’être des saints, handicapés ou non. Olvido, jolie blonde d’une vingtaine d’années, aimerait bien se débarrasser de son frère jumeau trisomique, León, histoire de vivre tranquillement sa vie. Et pour ça, tout est bon : les instituts religieux, où l’on traite les malades comme des animaux, l’abandon en plein milieu de nulle part, voire le meurtre. Mais León n’est pas une victime innocente. Si parfois il semble beaucoup plus responsable que sa soeur, il est difficile de lui pardonner ses caprices, son égoïsme et sa possessivité. Bien plus qu’un film sur le handicap mental, le cinéaste signe alors une oeuvre sincère et très dure sur les rapports entre deux individus, qui, laissés seuls au monde, n’ont plus d’autre choix que de s’aimer, même si cet amour ne peut s’exprimer que dans l’inceste ou la violence. Quand Olvido refuse de traiter son frère comme un enfant, ce n’est pas seulement pour le repousser, mais surtout pour l’aider à affronter la vie ; quant à León, il est le seul rempart d’Olvido contre la détresse et le dégoût des hommes.

Mais il est difficile de tenir la longueur quand on fait le choix d’une oeuvre où chaque scène est le plus possible épurée d’émotion, où la mise en scène, sèche et cinglante, fait l’effet d’une claque en pleine figure, où la relation entre les deux personnages principaux ne peut qu’aller droit dans le mur, ou, au mieux, ne pas évoluer du tout. Au fil de son trop long film, Bermudez joue à l’équilibriste sur le fil du pathos, et manque de peu la chute fatale. Le rapport amour / haine entre les jumeaux était suffisamment intéressant pour qu’il ne soit pas nécessaire d’introduire une vague histoire de réseau de prostitution dans laquelle est entraînée Olvido, et qui décrédibiliserait toute l’histoire si l’actrice principale, Marta Larralde (vue dans Mar adentro) n’avait pas assez de charisme pour emporter immédiatement l’adhésion du spectateur. Au final, León et Olvido ne fera sans doute pas date, mais on saura gré au cinéaste d’avoir raconté sa petite histoire avec pudeur et sans prétention.