Eternel problème de l’adaptation d’une pièce de théâtre au cinéma : à Marivaux, cette fois, de prêter un peu de son talent à un cinéaste. Ce n’est pas une première (voir l’adaptation récente de La Fausse suivante par Benoît Jacquot), les travestissements et stratagèmes typiques de l’univers du dramaturge se prêtant merveilleusement à un jeu sur les conventions et les artifices théâtraux. Ce Triomphe de l’amour, produit par Bertolucci dont la réalisatrice (qui signe là son quatrième film) fut l’assistante, est une agréable surprise : malgré les siècles qui nous en séparent, Clare Peploe réussit à rendre à l’oeuvre toute sa modernité et son insolence. La pièce, évidemment, est superbe et le film ne manque pas d’humilité vis-à-vis d’elle, se sachant redevable à l’esprit sarcastique de Marivaux. Au service du texte, qui demeure le pilier central du film, l’interprétation magique des comédiens fait mouche -la ravissante Mira Sorvino en tête, qui, au prix de mimiques pleines de malice, assume le ton libertin de la pièce, et l’irrésistible Fiona Shaw, arrachée à la peau de l’infâme Mrs. Dursley (Harry Potter), qui fait oublier la fade prestation du jeune premier.

L’intrigue procède à l’évidence d’un étincelant marivaudage : la princesse d’un royaume à la géographie imprécise, tombée amoureuse de son pire ennemi, doit essayer de conquérir son coeur. Contrainte pour ne pas être démasquée de se travestir et d’interpréter trois rôles à la fois, elle finit par s’emberlificoter dans son propre jeu ; mais bien sûr, tout est bien qui finit bien dans le meilleur des mondes. Comme celui de Candide, ce monde-là, où les machinations les plus invraisemblables ne connaissent jamais qu’une issue triomphante, n’existe pas. Ou plutôt si : il est le monde tel qu’il existera toujours, avec ses interrogations incessantes sur la nature humaine, comme un pont reliant les grands penseurs de l’Antiquité (dont se réclame un des personnages du film, ironiquement dénommé « Hermocrates »), l’amour courtois du Moyen-Age, la philosophie des Lumières et notre XXIe siècle.

Du théâtre au cinéma, le passage se fait parfaitement, presque trop : les scènes les plus faibles sont même celles qui recourent trop à des procédés spécifiquement cinématographiques. Clare Peploe a clairement fait le choix du classicisme : la caméra, économe, sert surtout à mettre l’accent sur une certaine interprétation du texte. La réalisatrice ne fait qu’élargir l’espace disponible aux comédiens, et compose une véritable variation sur les règles strictes du théâtre classique, tout en les respectant à la lettre : les trois unités (d’espace, d’intrigue et de temps) sont bien là et parfaitement crédibles, ainsi que la division implicite en actes (les personnages se croisent avec fluidité), et jusqu’au salut final à un public dont de brefs plans nous avaient déjà révélé la présence. Ce Triomphe de l’amour fait incontestablement honneur à son créateur.