Une dernière projection de presse fliquée bien comme il faut (fouille au corps et kidnapping des téléphones portables, même les plus rustiques, pathétique et consternante paranoïa) et plus de trois heures de déambulations sur la Terre du Milieu plus tard, on en termine avec l’un des plus gros films de l’histoire. Deux types de spectateurs sont susceptibles de voir ce Retour du roi, les fans conquis d’avances aux convictions inébranlables et les autres. A qui parle-t-on ?

Quitte à ce qu’une poignée d’hargneux Torquemada nous tombent dessus à bras raccourcis pour avoir osé toucher le monument sans connaître par coeur l’oeuvre de Tolkien (et au nom de quoi ne pourrait-on pas ? Faut-il avoir lu tous les livres pour voir tous les films qui les adaptent ?), il faut bien parler du film lui-même et de la mise en scène, sur laquelle on n’a rien de nouveau à signaler par rapport aux deux autres tomes (La Communauté de l’anneau et Les Deux tours). Dire que ce troisième épisode est meilleur ou moins bon que les autres n’a guère de sens, puisque les intentions de Peter Jackson et les enjeux du film étaient fixés depuis longtemps. Les amateurs seront ravis (ça continue pareil), les autres s’ennuieront toujours autant (ça continue pareil). Tout y est reconduit à l’identique (on préfère toutefois la bataille nocturne du deuxième épisode, mieux rythmée), les mêmes dispositifs pantagruéliques, la même liturgie inconséquente, virant parfois au ridicule achevé (la grande scène aux accents volontiers shakespeariens du roi fou envoyant son fils à la mort, mâchouillant grassement un poulet mal cuit et des tomates explosant comme des poches remplies de sang). Il y a bien un point sur lequel on peut difficilement reprocher grand-chose à Peter Jackson -et ce n’est pas rien, certes. Les 300 millions de dollars dépensés pour la réalisation de la trilogie sont bien sur l’écran, pas de panique. Scènes de foules, décors virtuels gigantesques, chimères et créatures, tout cela est bien exécuté et nous renvoie à une triste position de spectateur passif et peu concerné. Il n’y a guère de différence, au fond, entre le film et son making of : prouesses techniques et tours de force s’y donnent comme unique spectacle, annulant toute idée de puissance et d’efficacité de la mise en scène.

Très franchement on aurait aimé aimer cette saga filmée, dont on perçoit par endroits de véritables enjeux de cinéma, mais toujours sacrifiés sur l’autel d’une grandiloquence de pacotille et d’une balourdise du pire effet. Ce n’est ni mépris ni arrogance que de n’y voir qu’un spectacle sans âme et sans saveur. On y constate simplement, plus que la vérification d’une terne inéquation entre moyens financiers démesurés et qualité (un tel axiome est inepte, heureusement), l’illustration bête et méchante d’un principe qui ne l’est pas moins : on ne fait pas de bons films, même et surtout adaptés d’une oeuvre à succès, sans idées ni personnalité.