Aimer le premier venu, c’est ce que décide Camille (Clémentine Beaugrand), une jeune fille visiblement de bonne famille. Le premier venu, c’est Costa (Gérald Thomassin), un bon à rien rencontré dans un train. « Si j’arrive pas à l’aimer, ça va être terrible pour moi ».

Doillon filme à la fin de l’hiver, dans la Somme, au Crotoy et alentour. Le décor, la lumière, les cadrages sont clairs et nus, la baie et les étangs immenses et plats. Sur cette scène se joue une action brusque et tordue. Le dialogue, ses sauts, participent de l’échappée de Camille et d’une fabulation qui s’étend à l’ensemble des protagonistes. Le Premier venu, c’est une parenthèse temporelle et spéculative pendant laquelle tout devient possible et extravagant. Sur la base de ses élucubrations langagières, la jeune fille bascule avec Costa dans le fait divers ; et avec Cyril (Guillaume Saurrel), flic et ami d’enfance de Costa, dans le drame de la jalousie. Cela en quatre jours, soit en quatre actes. La théâtralisation permet ce rocambolesque anti-naturaliste, en vertu duquel les actes les plus répréhensibles sont effaçables et les ressorts du film noir finalement sans conséquence (Camille voudrait provoquer le destin, elle pourrait être une femme fatale).

Le Premier venu progresse par fantasmes successifs et sur le principe d’une distributivité joueuse : Doillon fait un tour d’hypothèses sur le premier venu, son ex (Gwendoline Godquin), son amoureuse et son rival. Quand il hystérise les rapports (entre Camille, Cyril, Costa, l’agent immobilier – François Damiens), la violence est arbitraire. Sans doute le film se joue-t-il là : entre la profondeur des sentiments et la gratuité du jeu. Chacun évolue et se crispe par à-coups (tour à tour torturant, torturé, ange, démon ; ou, pour Camille : justicière, paumée, perverse, innocente), mais l’exploration, épuisante, n’est pas seulement ludique et cérébrale. D’une part, il y a la piste de l’interprétation sexuelle qui, quand elle devient évidente, est un peu lourde. D’autre part, il y a l’ironie du sort : voir la fin, évidente, aussi émouvante qu’inattendue. L’échappée expérimentale et le passage par le n’importe quoi se résolvent dans le bon sens et la douceur. Au terme du Premier venu, chacun repart, le cours des choses reprend, un temps bouleversé par l’entêtement d’une Camille raisonnante et décidément seule. Elle aura joué jusqu’au bout le jeu des rencontres et de l’amour impossibles.

Le pari – aimer le premier venu – était-il rohmérien ? A l’égal de celui de Sabine (Béatrice Romand) dans Le Beau mariage (1982) ? Les deux cinéastes ont certains partis-pris en commun (prééminence des dialogues, hétérogénéité du jeu des acteurs, absence de sexe alors qu’il en est sans cesse question). Pourtant, Sabine et Camille ne sont pas pareillement têtues, Camille reste opaque, et l’ironie du sort n’advient pas par les mêmes chemins. La fin du Doillon, délibérément décevante, est néanmoins proche de Rohmer par son prosaïsme moral.