Doudou de librairie transgénérationel, Le Petit Nicolas a enfin droit à sa version grand luxe au cinéma. Soit une débauche de moyens couplée à une fidélité absolue et revendiquée aux livres de Goscinny. Ce qui donne : 1. Une reconstitution soigneusement astiquée des années 50, entre plumes Sergent major, Peugeot 404 passée au polish, grandes chaussettes et cartables en cuir. Voilà qui remplira de nostalgie le papy accompagnant son petit moutard dans la salle. 2. Une voix-off qui appuie chaque image d’un commentaire édifiant de puérilité. 3. Un casting d’adultes strictement composé de guest stars bankables (Lemercier, Kad Mérad, Demaison). Manquent Gérard Depardieu et Thierry Frémont. Bizarre.

A cet inventaire, un autre oublié volontaire. Jean-Jacques Sempé, cité quelques instants dans un joli générique animé, dix minutes après le début du film, référence incontournable que Laurent Tirard a casé comme il a pu, réduisant le dessinateur au rang de patate chaude. En même temps, il fallait choisir entre deux défis. S’inspirer, dans le découpage et dans le mouvement, du trait poétique et aérien de Sempé – difficile ; ou bien coller platement, comme ici, à l’écriture de Goscinny, lecture du réel par un môme observateur, sorte de référant universel, moins un caractère qu’un pur passe-plat dramatique. Pour régler ce délicat problème d’incarnation, Tirard a choisi un petit comédien récitant, fantasme absolu d’enfant sage, avec des gros yeux bleus et un pull rouge. Enorme hic : on a évidemment envie d’écorcher vif ce petit fayot au bout de trois répliques. La faute à Tirard, qui dès le premier plan, écrase son film sous un dispositif aussi scolaire que ripoliné.

On a rarement vu film plus étriqué, goitreux, étouffant que ce Petit Nicolas. Pas une image qui ne se libère de son devoir d’illustration gentillette et surannée, pas un enfant qui n’échappe à une caricature préfabriquée, pas une séquence qui ne créé le moindre mouvement, tuée dans l’oeuf par un effet story-board appliqué (pic, la visite médicale, de loin la plus rythmée, qui s’apparente à un mauvais film animé soviétique des années 60). Même une réclame pour Les Petits écoliers, ou un demi-plan d’Amélie Poulain, références ultra revendiquées, respirent davantage. Pour autant, malgré son esthétique bonbonnière, Le Petit Nicolas se révèle incroyablement grumeleux. La faute aux acteurs, notamment, soumis à un régime d’apartheid involontaire, où les enfants, tous mauvais, prennent une leçon de cabotinage par les adultes, contraints de les écrabouiller pour prendre le pouvoir ou tenter de sauver le film. Une bataille gagnée, mais pas la guerre. Les tentatives caustiques de Kad Mérad et de Valérie Lemercier s’engluent fatalement dans le traquenard mou de Laurent Tirard, sacré d’avance plus grand cinéaste balladurien des dix prochaines années.