Passionnante, la trajectoire des Podalydès dans le cinéma français. Depuis Liberté-Oléron, les deux frères ont réussi une échappée qu’ils ne semblent pas prêts de lâcher, restant mille coudées en avant de tout concurrent potentiel. Ce qui rend si précieux ce cinéma est au moins autant sa singularité dans le registre d’une comédie névrotique entre enchantement et morbidité que son savoir-faire et l’incroyable pureté de ses effets. A ce titre, Le Parfum de la dame en noir franchit un nouveau pallier. Le récit, bien plus alambiqué et irréductible en ligne claire que celui de la précédente aventure de Rouletabille, est l’occasion pour les deux frères de travailler dans le sens d’une pure démonstration de mise en scène. Moins immédiatement drôle, moins simple d’accès que Le Mystère de la chambre jaune, le film apparaît d’abord comme un ovni étrange et fascinant.

Réunis au château d’Hercule, demeure cerclée par le maquis et la mer, Mathilde Stangerson, Robert Darzac et leurs amis se retrouvent une fois de plus harcelés par Larsan. Rouletabille et Sainclair tentent de mettre la main sur le mystérieux visiteur. Film de masques et d’apparitions, Le Parfum de la dame en noir joue beaucoup moins sur l’aspect chausse-trappes et boîte à malice du premier volet. Le burlesque échevelé du lieu cède le pas à une atmosphère de rêve éveillé où l’espace, comme le temps, se dissolvent et se réduisent en une toile de signes plus ou moins abstraits. L’esthétique bidimensionnelle très BD qui préside à la mise en scène tintinophile des Podalydès trouve ici matière à se régénérer en une sorte d’étoffe sensorielle marquée par de formidables jeux d’oppositions : souplesse et raideur, surface et profondeur, effroi et ravissement. Le jour et la nuit s’y répondent en parfaits reflets symétriques : couleurs solaires et cagnard où se déploient tous les subterfuges (la terrasse où se retrouvent tous les convives) contre intimité douce de la nuit, lieu de tous les dévoilements (la scène hilarante des périscopes dans le puits).

A l’immense pureté structurelle du film répond un récit cryptique au possible : jeu de dominos absurde où n’importe que la progressive tombée des masques. Il y a là un passage de la pure mécanique (si jouissive fût-elle dans Le Mystère) à une dimension plus abstraite, résolument baroque. Le plaisir du rafistolage et du bric-à-brac restent bien visibles mais se laissent envahir par un onirisme débordant. Au point de maturation extrême où se trouve l’esthétique des Podalydès, le rococo et la morbidité se muent en un décadentisme burlesque qui ouvre sur une gravité et une profondeur inédites, en témoigne la finesse du traitement de la relation incestueuse qui plane sur Mathilde et Rouletabille, digne d’un grand mélodrame. La résistance du film, cette manière de flotter dans un entre-deux inconfortable, proche de l’hypnose, font du Parfum de la dame en noir le chef-d’oeuvre de la fratrie Podalydès. Autrement dit, le plus grand film français de l’année, et de loin.