La bonne surprise française du moment. Qui tombe bien, pour nous, puisque nous consacrons dans le numéro d’avril de Chronic’art (#44, en kiosque fin mars 2008) un ensemble autour du cinéma de complot, à la faveur de la récente traduction française d’un texte bref du philosophe américain Frederic Jameson, La Totalité comme complot. De quel complot s’agit-il ici, et de quel protocole ? Le générique du film est constitué d’images d’une campagne de vaccination quelque part en Afrique. Puis, changement de décor : nous voici dans les Vosges où Clovis Cornillac, barbe et chemise à carreaux, s’active dans une forêt, dirigeant une équipe de bûcherons. Il apprend soudain la mort de son fils, victime d’un accident de la route. Ce qu’il ignorait, c’est que son fils testait de nouveaux médicaments pour un laboratoire pharmaceutique. Bientôt, une jeune femme approche Cornillac et tente de le convaincre d’enquêter sur l’accident : et si son fils était victime de ces essais thérapeutiques, comme son mari, prétend-elle, mort des suites de ce genre de tests ?

Thomas Vincent filme avec sobriété et sans arrière-pensées l’espèce de plongée de son personnage dans le tissu sans bord du complot, de cette totalité irreprésentable et fuyante, qui s’éloigne à mesure que l’on s’en approche, laissant seulement traîner des fils que l’on attrape et qui donnent l’illusion de se localiser sur une carte pourtant dépourvue de centre et de frontières. La seule variante apportée par le film au récit balisé du complot (avec tous ses motifs récurrents : la multitude infinie de signes dans lesquels se noie le personnage), est un doute fondamental : dans le vertige des montagnes russes de cette épopée (quand on croit être en haut, on s’aperçoit qu’on est en bas, et inversement), jamais ne s’efface le spectre d’une pure et folle illusion : le complot n’est peut-être pas une entité réelle, mais au contraire son absence – le songe d’une totalité, le leurre d’une explication là où la raison faillit.

Nouvelle actualité du complot, donc, qui frappe d’abord par sa manière de réactiver sobrement des motifs basiques du récit de complot, voire de remonter plus loin encore, jusqu’à Hitchcock. Le film tient et tire sa force réelle dans cet équilibre entre archaïsme et hyper-modernité, ainsi que l’exprime l’ultime scène du film, assez brillante. D’un côté, dissolution sans retour : un personnage, bien présent dans la scène précédente ne devient plus visible que sur des écrans de plus en plus grands – une possible Eurydice s’enfonce dans la matière sans matière du complot. De l’autre, une spectaculaire irruption du héros dans le texte du complot qu’il cherche à déchirer, interruption de séance qui est une quasi citation de Hitchcock (on pense inévitablement à l’Albert Hall de L’Homme qui en savait trop, ou bien aux 39 marches), remarquable dans sa manière de superposer le corps du héros au premier plan et un public aux contours abstrait à l’arrière-plan. L’effet est subtil, et suggère l’emploi d’une sorte de transparence, à l’ancienne. Ultime pirouette de la conspiration, qui trouve encore dans le contemporain (d’une part le thème ultra-moderne de la faillite des protocoles, d’autre part le scandale des essais thérapeutiques dans le Tiers-Monde, et, peut-être, en France aussi) de quoi solidifier ses bases, réaffirmer son classicisme, résister à la noyade onirique : même au coeur du volcan, le personnage n’entre pas dans l’image, il lui est impossible de s’insérer en elle.