Le Nombre 23 est d’abord le récit d’un double gâchis. Schumacher, pour commencer. Les films sont invariablement mauvais, mais on persiste à accueillir ses nouvelles tentatives d’un oeil bienveillant. Pour le personnage, d’abord, esthète inapte, tata kitsch et moraliste dont l’imaginaire réac en mousse semble avoir grandi sur la banquette arrière de Taxi driver, et sympathique épouvantail facho qui fait crier très fort la critique. Ce personnage-là, malgré les films, stimule, intéresse. Et puis il y a ce mauvais goût persistant qui fait tenir debout sa botte de navets, une façon de faire des films foncièrement malpolis (de Chute libre en 8 mm en passant par son massacre queer du Batman de Burton), comme vomis depuis une soupape fatiguée de l’industrie dont il renvoie une image aussi conforme que subtilement dégénérée. Une matière propice -mais on en bien naïf, quand même- à animer la croyance que la vulgarité, élevée en système, pourrait faire œuvre, qu’un auteur pourrait finir par germer sur ce sympathique purin. Voeu pieux mais croyance sûrement un peu absurde, le Domino de Tony Scott en était la confirmation, où le vulgaire donnait l’impression de penser et puis non, c’est juste nul. Pourtant, on se contenterait de peu, un découpage juste honnête, un semblant de vision, un rien d’inventivité. Mais ce Nombre 23 confirme qu’il n’y a plus rien à espérer de Schumi, qui s’englue avec l’âge dans un statut de tâcheron même plus rigolo -voir son massacre de l’idée en or de Larry Cohen dans Phone game. Pire: faute de goût impardonnable, ses films tendraient même à devenir bien élevés.

Jim Carrey, ensuite. Cette fois, c’est sûr : on n’en peut plus du Jim Carrey nouveau, la coupe chipée à Nicolas Hulot, l’oeil tristoune et la babine perpétuellement affligée, ou l’Actors’ Studio à la portée du Golden retriever. On se méfiait pourtant, au début, quand ses saoulantes grimaces le consacraient nouvel espoir burlesque. Et puis quand même, on s’était laissé convaincre par Fous d’Irène, où, franchement, il était très bon – à moins que ce soit les Farelly, tout bêtement. Mais depuis, Jim a rangé les grimaces au vestiaire, et, fort sérieusement, s’est mis à cogiter, et ça lui fait mal à la tête, de cogiter, alors les yeux plissés très fort, il joue la souffrance, Jim, c’est ça la nouvelle formule, du Gondry à ce Nombre 23. Depuis sa crise Tchao Pantin, donc, Jim est tout bonnement devenu pénible.

Le film ? Prodigieusement régulier dans sa nullité (la palme aux séquences fantasmées, pas vu plus laid depuis très longtemps). Le script (c’est un premier script, chapeau gamin) pioche son argument couillon dans une grande malle aux trésor néo-ésotérique déjà has been depuis longtemps et régulièrement visitée par tout ce qu’Hollywood compte de ringards définitifs. En deux mots : Jim, tout triste, tombe sur un bouquin dont le récit lui rappelle étrangement sa propre vie ; à la clef : un meurtre, et, tout du long, une obsession mystique pour « le nombre 23 ». Mais pourquoi le nombre 23, demanderez-vous ? C’est pourtant simple, suffit de faire le calcul. Le 11 septembre, par exemple : 11 + 09 + 01 = 23. Ah oui, bizarre. Le nombre de coups de couteau plantés dans Jules César ? 23 ? Bingo. Tiens, encore mieux : Kurt Cobain, né en 1967, mort en 1994 (on vous laisse faire les calculs). Mais… mais tout est lié, alors ? Voilà qui fiche drôlement les jetons. En tout cas, ça travaille sacrément Jim dans le film, qui repeint ses murs de lignes de calcul hystériques quand il ne joue pas du sax en marcel, avant de finir noyé sous un coulis de twists imbéciles. De notre côté, on a beau retourner l’équation dans tout les sens, pas de nombre à deux chiffres, juste un zéro. Pointé.