Retour au court pour Sophie Letourneur, dont le premier long métrage, La Vie au Ranch, fit l’effet boeuf que l’on sait il n’y a même pas deux ans. Et en même temps, surprise de se retrouver face à un film volontiers mineur, un objet purement récréatif où l’on identifie pas tout de suite la signature introduite par les précédents films de Letourneur – ce flux de paroles autonomes, sacrifiant à dessein toute dramaturgie au profit d’un débordement de matière laissant peu ou prou s’esquisser un embryon de fiction. Sa forme légère, dont quelques motifs semblent directement inspirés des courts métrages de la Nouvelle Vague (noir et blanc, éclairage naturel, découpage très tranché, décrochages sonores inattendus), peut même clairement dérouter quiconque voyait dans le précédent film l’installation, après ses premiers courts et moyens, d’une « ligne Letourneur ».

Le film pourtant part des mêmes préoccupations post-adolescentes que La Vie au Ranch (deux filles d’une trentaine d’années, dont l’une incarnée par Letourneur, partent en voiture direction la Bretagne, pour y faite plus ou moins le point sur leurs situations amoureuses). Mais très vite, cette matière-là se retrouve encombrée d’un grouillement de signes visuels ou sonores quasi digressifs, qui lui dessinent une autre voie. Si la ligne sentimentale reste bien le fil plus ou moins conducteur de ce micro récit, le souci de Letourneur est au moins autant, par le biais notamment de l’utilisation du commentaire post synchronisé des images, de faire se chevaucher toutes les dimensions de la fiction. Ainsi les deux filles nous embarquent-elles autant dans leur voyage, leur séjour chez le père de la seconde – (re)découverte du pittoresque local, passage à la crêperie – qu’elles s’imposent comme les premières spectatrices, mais surtout les critiques de leur escapade.

Le Marin masqué, par cette légèreté d’esprit qui confine par moments au cinéma buissonnier, est ainsi un vrai film de poche, où l’expérimental voisine sans cesse avec le ludique. Il confirme finalement bien que dans cette œuvre encore naissante, rien n’est aussi prometteur d’échappée, de divagation, que la parole, son déploiement, mais tout autant le risque constant de sa rupture (in ou off), voire son écrasement. Lorsque Lætitia, suite à ses retrouvailles décevantes avec ledit marin masqué (soit l’apollon dont elle rêva tant et qu’elle ne possèdera décidément jamais), confie à Sophie sa résignation, à la clarté des mots se joint ainsi l’inquiétude d’une soudaine claudication, un brouillage, inhérente aux multiples sorties de pistes (quasi musicales) dont le film ne fut jusqu’alors pas avare. C’est cette insécurité qui, jusqu’au générique de fin, donne son relief à un film qui, s’il est largement à la hauteur de son ambition (purement récréative, répétons-le), ne nous interdit pas d’attendre un prochain opus un peu moins confortable.