L’ennui surprenant que l’on ressent à la vision du Labyrinthe de Pan, il faut bien en chercher la cause. Du côté du scénario ? Possible : dans l’Espagne franquiste, une femme s’installe chez son nouvel époux, un horrible capitaine, brutal et cynique, fasciste zélé (monstre n° 1). Dans ses bagages, sa petite fille, Ofélia, effrayée par son beau-père, puis accostée par Pan, himself, seigneur d’un labyrinthe sylvestre où elle s’aventure par désoeuvrement. Bonne nouvelle, le faune lui annonce qu’elle pourrait être la princesse d’un royaume perdue, et qu’elle doit accomplir trois épreuves pour prouver sa royale nature, et affronter d’étranges créatures (monstres n° 2, 3, 4…). Du côté de la mise en scène ? Possible aussi : le déploiement d’un imaginaire SFX a beau couler de source sûre (créatures lovecraftiennes, ogre ensanglanté aux yeux nichés dans les paumes, crapaud glouton, faune planant grimpé sur échasses de bouc, etc.), il bute contre le toc de la reconstitution, où se renifle partout, dans la moindre couture d’uniforme, dans le bois plastifié des barrières et dans la moindre pierre du labyrinthe, la contrefaçon d’un studio de cinéma (ce n’est pas un hasard, on sait que Del Toro est un très bon cinéaste de studio).

Ennui de scénario, ou ennui de mise en scène ? Les deux mon capitaine, puisque la mise en scène et le scénario se frottent bien sûr comme se frottent le réel (l’Espagne franquiste, le militaire tortionnaire, le beau-père de cauchemar) et l’irréel, l’univers des contes, dans lequel se réfugie Ofelia. Pour fuir l’affreuse réalité ? C’est plus compliqué, et c’est mieux que ça : une entité recouvre l’autre, le fantastique raconte par la métaphore la folie du franquisme, tandis que le film d’époque explique que le franquisme est un cauchemar où les monstres, hélas, ont les yeux en face des trous, et sont pires que les pires monstres de vos rêves maudits, ogres aveugles et crapauds gloutons. Et que la matière du studio soit si visible, si palpable à tous les recoins du décor, est bien évidemment le signe que le réel, le franquisme et à travers lui le fascisme, est lui-même la plus grande et la plus fantastique parade de monstres, la plus horrible aussi – bien plus que tous les contes. Del Toro nous referait-il une La Vie est belle benigniesque (comme le monde devient fou, fermons les yeux et rêvons très fort) ? Non, bien sûr, le film est plus intelligent que ça : le merveilleux est effrayant, il n’offre aucun substitut, aucun paradis artificiel, car entre lui et son dehors abominable, il n’y a qu’une translation, un changement de costume.

D’où vient l’ennui, alors, si pareille architecture parvient à secréter un discours sur l’horreur du monde ? De ce qu’elle est si nette, si articulée dans sa structure binaire, qu’elle travaille si laborieusement à ce que les deux pans du film ne se rencontrent jamais, afin d’entretenir le feu de son réseau de métaphores et de significations. Ennui de scénario + ennui de mise en scène : allers-retours entre monde militaire et règne des chimères de sang, deux films qui courent en parallèle ; et une fois réfugié, ou coincé dans l’un ou l’autre monde, il ne se passe strictement rien, les monstres font la queue dans les coulisses, attendant leur tour, tandis que le militaire commet atrocité sur atrocité sur de braves résistants, attendant leur tour. Rien ne vient soulever la lourdeur du dispositif, rien et surtout pas la vitesse fracturée qu’il réclame, qu’il réclame comme un mort de faim.