Eblouissant est un mot qui revient souvent à la vision de Lady Chatterley, qui est pourtant un film très simple, et sans effets, et sans astuces. Lady Chatterley, qui est pourtant un film très long (2h38, pas moins), et l’adaptation d’un livre très célèbre -en fait, une version méconnu de ce livre très célèbre, la deuxième des trois versions que D.H. Lawrence a données de son titre phare, toutes différentes, seule la dernière étant canonique. La simplicité douce du film de Pascale Ferran, on peut tout de suite en donner une illustration. Vous connaissez l’histoire : dans l’Angleterre industrielle, une jeune aristo dont le mari est paralysé depuis la Grande Guerre entretient une liaison avec son garde-chasse. La jeune Lady, donc, se rend régulièrement jusqu’à la cabane de son amant, au fond des bois. C’est une petite trotte, une petite marche sous les bois, parmi les fleurs. Rythme lent, calme. Il ne se passe rien durant ces brèves traversées végétales, sinon que sur le visage de Constance, parfois, se laisse lire une humeur, joie ou impatience, ou inquiétude. Tels qu’ils sont filmés, ces passages racontent tout le film : rythme lent, encore, et battement très régulier du montage par la grâce duquel chaque plan semble être un pas supplémentaire, un pas de plus vers la maisonnette au fond de la forêt. Un pas, un plan : c’est la formule.
Eblouissante, la mise en scène de Pascale Ferran, qui n’avait plus tourné pour le cinéma depuis son premier long métrage, Petits arrangements avec les morts en 1994 (L’Âge des possibles était à l’origine un téléfilm, ce que sera aussi Lady Chatterley lorsqu’il sera diffusé, dans une autre version, sur les petits écrans du printemps prochain). Pourtant le film est simple : il raconte, doucement, la naissance d’un amour, fébrile au début, lorsque la Lady et le garde-chasse s’apprennent l’un et l’autre. Puis, amour qui prend le risque de l’avenir : après une scène éblouissante (on y tient) durant laquelle ils se décorent de fleurs (myosotis sur le nombril, marguerite sur le sexe), les amants commencent à évoquer leur futur, ensemble. La tenace image d’Epinal chevillée au corps du roman de Lawrence (une aristo s’envoie en l’air avec son domestique) n’a bien sûr pas cours ici, où il s’agit bien plutôt d’une attention portée à la métamorphose, le changement du regard et du corps qui est pareil à celui des saisons. De la première étreinte, lancée sur invitation de la nature toute entière, à l’ultime » oui » qui clôt le film, il y a bien un chemin, qui est arpenté doucement, pas à pas, plan après plan, saison après saison. Un pas, un geste, un baiser, un plan : c’est la formule, qui éclôt lentement, dans le rythme mal assuré d’une découverte.
« Expérimentez, n’interprétez jamais » : l’injonction est de Deleuze, un grand lecteur de Lawrence (et Pascale Ferran est venue à Lawrence via Deleuze), et elle convient parfaitement au film, où l’expérience de l’autre, de l’amour, du sexe, évente par avance tout commentaire. Rien n’est dit qui serait de trop, nul plan est inutile puisqu’il chemine. Il n’y a aucun surplace dans le film, bien qu’il se réduise pour l’essentiel à deux lieux (le château de Constance, la maison de Parkin). Tout est mouvement, avancée, harmonie, jusqu’à cette scène des fleurs avant laquelle les amants auront couru nus sous la pluie -et tout échappe à la niaiserie, par miracle, parce que la niaiserie serait surplace quand l’amour (il ne s’agit que de cela, tout au long du film) serait pareil à un pas lent, jamais en repos. C’est la formule : la petite musique du film, autant que la note tenue de l’amour, ce paradoxe qui veut que l’on se pose en l’amour sans jamais s’y reposer. Et sans la redondance du préfixe re-, il y a là un secret offert à tous, garde-chasse ou Lady, secret du temps qui s’ouvre telle une fleur, secret de l’amour comme éternelle surprise et première fois, commencement de tout.