Bien que magnifique, le titre du premier long métrage du belge Philippe van Leeuw (lire notre entretien) pouvait laisser craindre une approche du sujet Rwanda sous l’angle de la seule complainte, une possible inertie de la tentative de reconstitution du drame, inhérente à un abord prioritairement « victimaire ». Au lieu de quoi ce film se révèle être surtout la mise en scène sèche et frontale de l’instinct de survie de deux Tutsi : Jacqueline, jeune femme encore sous le choc du massacre de ses deux fils, et un compagnon d’infortune jamais nommé, qui lui donnera en quelque sorte une dernière raison de vivre. Le Jour où Dieu est parti en voyage saisit immédiatement par le choix du cinéaste de voir dans le statut de victime un peu plus qu’un état de souffrance. Si celle-ci est de tous les plans, captive surtout la pure matérialité des corps, la clarté du moindre geste, la prégnance sonore du hors champs participant de l’intensification de chaque plan. Jacqueline (la chanteuse Ruth Nirere – Shanel, au jeu admirable) est ainsi suivie dans le temps réel de l’évolution de son regard sur la situation, du trauma du spectacle glaçant de l’exhibition publique des cadavres de ses enfants (bien que saisie à distance, du point de vue de la jeune femme embusquée, l’image reste insupportable) à sa prise en charge du corps blessé d’un homme, du réflexe de se cacher ou d’être à l’affût du moindre bruissement annonçant une menace à une défiance du danger révélatrice d’une pulsion évidemment suicidaire.

S’il se refuse à l’apparenter au « cinéma d’action », Philippe van Leeuw s’en remet à une pure logique de « survival » : découpage à vif, mu aussi bien par l’anticipation de l’événement que son esquive de dernière minute ; pragmatisme de chaque geste ou mouvement, réduction de l’espace à de pures questions utilitaires (faire cuire de la viande, sécher ses vêtements, dormir, prier, penser… peut-être faire l’amour). L’action est ici affaire d’apprivoisement de sa propre peur, mais aussi de celle de son / sa seul(e) allié(e), de cicatrisation littérale et symbolique des plaies initiales au profit d’une résistance par le projet de vivre encore – même un peu. Plutôt que de ne voir ces deux personnages que dans leur statut de martyrs, le cinéaste édifie chaque scène sur le pur présent de la (sur)vie quotidienne dans une situation limite, débouchant sur une intensité bouleversante. Le Jour où Dieu est parti en voyage, à l’origine projet d’un homme désirant exorciser par la fiction l’impuissance qui fut la sienne lorsqu’il n’était que spectateur d’une tragédie lointaine, s’offre aujourd’hui dans l’évidence de sa seule force de frappe esthétique : quel que soit le point d’arrivée de ces figures plus mortelles que jamais (Jacqueline est inspirée d’un personnage réel, dont le sort reste inconnu du cinéaste), la représentation en même temps que la saisie de ces quelques jours d’existence donne une puissante idée de que peut être la réalité sensorielle d’une terreur forcément universelle.