On ne peut pas dire que, depuis sa présentation à Venise en 2010, la première fiction de Wang Bing ait suscité un enthousiasme délirant. Sans être tout à fait incompréhensible, cet accueil tiède n’en est pas moins un peu injuste. Le film (qui, consacré comme lui à la vie dans les camps de rééducation chinois de la fin des années 50, dialogue explicitement avec le travail documentaire de Fengming) n’est certes pas sans maladresses : une certaine platitude télévisuelle dans la reconstitution, une mise en scène globalement peu remarquable, une interprétation très approximative surtout, confiée à des acteurs qui, ou bien se contentent de réciter timidement leur texte, ou bien surjouent carrément. Les scènes consacrées à l’arrivée de Fengming dans le camp, par exemple, ont la main un peu lourde sur le pathos, et donnent à la dernière partie un tour peut-être excessivement démonstratif.

Néanmoins la force singulière du film tient, précisément, à son refus des partis pris formels préétablis. À l’exception de quelques choix étonnants (notamment ce long mouvement de caméra, presque « gerryesque », sur l’héroïne recherchant la tombe de son mari au milieu du désert), la mise en scène semble tenir presque d’une forme d’indifférence (moments descriptifs et tentatives timides de fiction semblent distribués de façon plus ou moins aléatoire) qui est avant tout un pragmatisme. C’est-à-dire aussi, dans ce cas précis, une éthique : la conviction qu’il faut répondre à l’appel d’enjeux plus amples, qui dépassent largement le cadre du film. Cela avait été dit déjà d’A l’ouest des rails, dans lequel le cinéaste décidait à un moment de couper, de manière très frappante, au milieu d’un entretien, vraisemblablement pour aider la personne interrogée à rentrer chez elle. Ce geste même au fond faisait partie du film, qu’il renvoyait à une nécessité supérieure à celle de sa seule exécution. C’est une telle démarche, indistinctement celle d’un filmeur, d’un témoin, d’un auxiliaire, qui se prolonge avec Le Fossé. Lequel, admirable en cela, mérite bien qu’on lui pardonne ses maladresses.