Frédéric a un problème avec son père. Il n’a jamais vraiment parlé avec lui, n’a jamais échangé autre chose que les banalités d’usage. La trentaine passée, Frédéric rend visite à ses parents pour discuter, enfin, et évacuer cette gêne qui lui pèse. Mais Frédéric est cinéaste et a décidé de filmer ces retrouvailles, ce cheminement intime de la parole et des sentiments. Le Fils de Jean-Claude Videau, c’est ça : des conversations sur l’usine -Jean-Claude Videau est ouvrier-, l’amour familial, l’identité sexuelle, et puis des séquences toutes bêtes, chargées de sens et d’émotion : sortir la caravane du garage où elle croupissait, retrouver ce bouquin qui fascinait Frédéric gamin…

Alors, bien entendu, on nage dans l’intime le plus total, dans le comble de la confidentialité mais, miracle du dispositif, ces histoires de famille nous touchent, nous émeuvent, nous impliquent. Ce qui pourrait sembler ailleurs banalement quelconque nous concerne ici presque immédiatement, comme si ce frère, ce père, cette mère, étaient les nôtres. Autrement dit, Frédéric Videau parvient à convoquer, au coeur même d’un documentaire éminemment personnel, des techniques d’identification propres à la fiction. Lui a beau être lui, son père a beau être son père, son frère son frère, etc., il se produit sous nos yeux une étrange réaction chimique, transformant ces êtres réels en pseudo-personnages dont les péripéties ont l’air extraordinaires, alors qu’elles ne sont qu’ordinaires ! Il faut dire que le montage, dynamique et efficace, donne à ce Fils de Jean-Claude Videau des allures de film d’aventures avec sa bonne dose de suspense et de questions en attente (quel est ce livre exhibé à la caméra ? qu’en est-il de la sexualité de Frédéric ?…), ses grands moments de tension (la visite à l’usine, menée par un Jean-Claude Videau agitant nerveusement ses clefs, visiblement désireux d’en finir au plus vite) et d’émotion (l’entretien déchirant avec Stéphane, le petit frère)… Frédéric Videau va même jusqu’à utiliser une montée musicale, épique à souhait, lors de la présentation, devant la demeure familiale, du film à venir, histoire d’enfoncer le clou tout de suite et de bien signifier au spectateur la particularité de la démarche.

Film de tous les contrastes, Le Fils de Jean-Claude Videau conjugue ainsi jusqu’au bout la fiction et le réel, la pudeur et la douleur, l’intime et l’universel, bouleversant tous les repères établis. Sans nul doute l’un des documentaires les plus exaltants qu’il nous ait été donné de voir en salle depuis le magnifique Reprise d’Hervé Leroux.