On ne pensait pas tomber un jour sous le charme d’un film de Jean-Pierre Jeunet, qui, seul (Alien 4) ou avec son compère Marc Caro (Delicatessen, La Cité des enfants perdus), développait jusqu’ici un cinéma assez vain aux lieux artificiels, créatures hirsutes et autres inventions gadgets. Un art dont on ne pouvait nier l’imagination, mais qui demeurait désespérément toc, aussi vivant qu’une poupée gonflable. Et si aujourd’hui Jeunet ne s’est pas mué en auteur bressonien, force est de reconnaître que Le Fabuleux destin d’Amélie Poulain fait preuve d’une ouverture plaisante, vers un esprit plus humain -voire humaniste-, loin en tout cas de la noirceur et de la monstruosité un tantinet forcées des opus précédents.

Amélie Poulain (Audrey Tautou, parfaite) est l’image même de la générosité. Serveuse dans un café montmartrois, la jeune fille, à défaut de changer le monde, se consacre à améliorer le quotidien des gens qui l’entourent. Vaste entreprise en vérité, où les bouleversements du coeur naissent d’actes aussi simples en théorie qu’ingénieux en pratique. Qu’il s’agisse de restituer une vieille boîte de souvenirs à son propriétaire ou de faire naître une idylle entre deux grands solitaires, Amélie passe par des stratagèmes complexes où les détails ont toute leur importance. C’est d’ailleurs dans l’énumération et les affects listés qu’excelle le réalisateur, présentant chacun de ses personnages par le biais de savoureux « j’aime / j’aime pas » qui fourmillent de petits plaisirs insolites, tels que plonger sa main dans un sac de grains ou crever les alvéoles d’un emballage en plastique. Cette propension quasi maniaque à filmer les micro-événements marque les limites du cinéma de Jeunet tout en lui conférant une certaine virtuosité. Le Fabuleux destin… ressemble ainsi à un film d’esthète de mauvais goût (abus de gros plans, de cadrages qui se veulent insolites, de décors chargés et numérisés) impeccablement maîtrisé dans ses effets métronomiques, son rythme réglé comme sur du papier à musique, ses enchaînements précis et originaux. Un travail d’orfèvre qui, contre toute attente, souffre peu de son côté factice et parvient même à nous émouvoir par son optimisme irréel, comme issu d’une planète trop utopique pour être la nôtre.