Le dernier volet de sa trilogie sur l’Amérique suspendue, Lars Von Trier retourne s’aérer la caboche avec son bon vieux « Dogma 95 ». Pardon, maintenant il faut dire « Automavision », nouvel alinéa sur les tablettes de la charte. Désormais, le chef opérateur ne doit plus toucher à la caméra une fois qu’il l’a plantée dans le décor (naturel), la machine modifiant toute seule les paramètres de prise de vue. Evidemment, pas question de faire le malin au montage, mais ça, on s’en doutait un peu. Comme on se doute que Lars Von Trier, qui tournera bientôt les yeux bandés et sur un pied, fait toujours le même film. Un film roublard et manipulateur sur des roublards et des manipulateurs, démontrant que le cinéma, même sans effet spécial, c’est de la manipulation -c’est crypto-fasciste, tu vois. Comme Lars pense aux spectateurs un peu cons, alors il a rajouté une mise en abyme pour qu’ils comprennent bien le sujet du film. Et puis, si certains prenaient ça pour du génie, Lars rougirait mais il n’osait pas en demander autant.

Le Direktør est le patron imaginaire créé par un chef d’entreprise malin. Perçu comme banal sous-fifre par son personnel, celui-ci peut ainsi relayer les directives les plus désobligeantes sans entacher sa popularité. Par exemple, virer tout le monde et revendre la société en catimini. L’arnaque monte d’un cran : faire interpréter le mystérieux boss par un acteur (Jens Albinus, vu dans Les Idiots), lequel, aussi dingo que mal briefé, va tout court-circuiter. Jeu de dupe et radiographie d’une communauté de pantins dégénérés : on voit beaucoup trop vite où Lars von Trier veut en venir. Sûrement que l’effet « Automavision » n’arrange pas les choses : une fois que le dispositif est réglé (un quart d’heure), le film se vide de sa substance d’un coup sec, comme pris à son propre piège. Voilà, plus rien à dire ni à déployer, sinon une mécanique de boulevard boboïsée par la DV, un exposé d’une banalité confondante sur le rapport au chef dont la légèreté de façade (« ce n’est qu’une comédie », nous dit-on au final) ne saurait masquer l’autosatisfaction absolue du cinéaste et donc sa naïveté pathétique.

Au mieux, on peut reconnaître à Lars von Trier le talent du roublard. Dans la basse-cour des cinéastes Dogma, c’est évidemment le plus doué, du moins le plus intelligent. Sûrement aussi parce qu’il est justement le chef d’une bande unie grâce à laquelle il restitue sûrement l’esprit complice. Un peu comme les énergumènes de Groland dont on retrouve dans Le Direktør quelques saillies burlesques, le plaisir de la sale tronche, de l’insulte ou plus largement du canular dans sa dimension la plus triviale et la plus féroce. Mais beaucoup trop radical dans son ambition de (re)penser le cinéma, Le Direktør ne peut jamais vraiment se permettre de se réfugier dans ce pis-aller. Si le film montre un enfermement, c’est bien celui de Lars von Trier lui-même, moins obsessionnel que bassement narcissique.