Un péplum, oui. Mais aussi un conte initiatique. Et un musical tourbillonnant. Et encore, et surtout, un grand film politique, d’une actualité brûlante. Comme ces livres se consumant aux pieds de l’homme condamné au bûcher par l’Inquisition, parce qu’il avait osé traduire les écrits interdits d’un philosophe andalou, Averroes.

Nous sommes en France, Languedoc, XIIè siècle. Mais nous pourrions être en Egypte, où, il y a trois ans à peine, les groupes intégristes réussirent à faire interdire le dernier film de l’ami Jo, L’émigré, prétextant qu’on avait pas le droit de représenter le prophète sur grand écran. Ou bien alors en Algérie, aujourd’hui, où l’on massacre les civils par centaines (« À chaque gorge que je tranche, je me rapproche du paradis », proclame, halluciné, l’un des fanatiques du Destin…).

Mais Chahine choisit, après cette scène d’ouverture, de nous transporter dans l’Andalousie d’avant la reconquête chrétienne. C’est là que le fils du malheureux immolé est venu rejoindre Averroes, en proie aux velléités de pouvoir des extrémistes religieux. Ils réussiront à convaincre un calife un peu couard à réduire en cendres (encore…) tous les écrits du vieux sage. Mais la pensée n’a pas de frontières, et la liberté triomphera (dans une superbe dernière scène, en forme de pied-de-nez) des faibles et des intégristes de tout poil…

Après ses récents démêlés avec les autorités de son pays, il fallait à Youssef Chahine une sacrée dose de dérision et de témérité pour oser ce film superbe d’insolence, de légèreté et de gravité mêlées… C’est, tout à tour, Alexandre Dumas, Demy (mais oui !), Duvivier et …Spielberg (époque Indy) que le réalisateur égyptien convoque, alternant saynètes musicales (et dansées !) délicieusement kitsch, envolées épiques et réparties drolatiques dans une valse effrénée. Bref, tout le contraire d’un film à messages lourdingues et abscons, mais l’oeuvre, pétrie d’amour et d’humanité, d’un jeune homme de plus de 70 ans dont la fraîcheur et la vivacité d’esprit pourrait faire pâlir bien des vieux trentenaires…

Ce Destin-là, enfin, est celui de personnages hauts en couleurs, magnifiquement incarnés par des acteurs célèbres (Laila Eloui, quel tempérament !) ou débutants (Hani Salama, dans le rôle du jeune Abdallah), qui, tous, donnent chair et vie à un film généreux et indispensable.