Depuis son court métrage, Promène-toi donc tout nu, Emmanuel Mouret se distingue des autres cinéastes issus de la Femis. A mille lieues des essais « psychologisants » ou des « constats à caractère social », l’univers de Mouret est atypique, savant mélange de réalisme et de décalage burlesque. Avec Laissons Lucie faire !, le réalisateur va jusqu’au bout de ce concept en défendant l’idée de « réalité exotique ou sympathique ».

Rien, ni personne, n’est vraiment à sa place dans le film, à commencer par le personnage principal, joué par Mouret lui-même, un héros flegmatique qui devient agent secret parce qu’il a coché la case « service secret » lors d’un concours pour devenir gendarme. Le cinéaste entretient une amusante distance entre le physique des comédiens qu’il emploie et le rôle qu’il leur donne. Une technique simple mais qui a le mérite de surprendre tout du long le spectateur. Lucien, notre apprenti agent secret, rencontre ainsi Jennifer, une jeune fille aux allures de femme fatale qui s’avère encore vierge et en quête d’une « initiation sensuelle ». Quant à Marie Gillain, la Lucie du titre, elle est la petite copine un peu nunuche de notre fameux Lucien, une composition qui l’éloigne enfin de ses rôles précédents auprès de cinéastes plus académiques. L’originalité de Laissons Lucie faire ! naît aussi de la mise en scène adoptée par Emmanuel Mouret. Le cinéaste prend le parti de la simplicité et de la limpidité. Pas d’effets de caméra, mais une retranscription classique qui confère une authenticité aux invraisemblances loufoques développées dans le film. Il faut voir Lucien en chemise hawaïenne, avec sa démarche nonchalante, dans l’exercice d’une mission « top secrète » ou bien encore, lorsqu’il brandit un énorme couteau de cuisine pour faire passer le hoquet de Jennifer, terrorisant pour de bon la jeune femme qui le met à la porte.

Si on est loin de crier au chef-d’oeuvre, Laissons Lucie faire ! fait quand même partie de ces comédies réussies, tel Aïe de Sophie Filières ; des œuvres à la réalisation modeste qui jouent avec dextérité des relations entre l’ordinaire et le fantasque. Une alchimie fragile car la limite qui sépare ce genre de films des navets « néo-réalistes » du style Max Pecas est souvent ténue. Avec Laissons Lucie faire !, Emmanuel Mouret tient la bonne formule et réalise une sympathique pirouette entre burlesque et naturalisme.