Pour un film aux airs de démonstration attentive sur la condition de la femme (ou d’un certain type de femmes : la quarantaine, CSP+, banlieue pavillonnaire bourgeoise), la première scène est d’une outrance caricaturale peu engageante. Le couple test de l’argumentaire (Juliette et Thomas) dine chez un autre couple, dont le mari s’exprime comme un salaud tout droit sorti d’un manuel de féminisme pour débutants. Mais il vend des photocopieuses à Thomas, chef d’établissement scolaire (passons sur la crédibilité de la situation), il faut donc courber l’échine et endurer les propos misogynes. Endurer, c’est ce que Juliette (la brillante Emmanuelle Devos, qui tire son épingle du jeu contre vents et marées) voudrait ne pas faire, et ce à quoi le cours de la vie (et les fondements machistes de la société) la force pourtant. Elle voudrait reprendre le travail, mais elle doit élever ses enfants, laver la maison et choyer son mari. Il faut bien que quelqu’un fasse les tâches domestiques, et ce ne sera pas l’homme, c’est comme ça. Isabelle Czajka prend donc l’exemple d’une journée type de Juliette, qui n’en est pourtant pas tout à fait une : à son enfermement involontaire entre les quatre murs de sa maison, l’héroïne oppose une tentative de libération, qui restera vaine.

 

Passée cette scène peu convaincante, La Vie domestique se redresse un peu lorsqu’il se cantonne à filmer le paysage pavillonnaire comme un pur et simple simulacre. L’entourage de Juliette (des femmes, voisines, enfermées dans ce décor et dans l’idéologie sournoisement machiste qu’il véhicule) est ainsi condamné à s’exprimer d’une voix artificielle – leur élocution même sonne faux. La réalisatrice filme des personnages faits moins de chair que de l’agrégat des discours conçus pour leur milieu. Comme il y a des maisons préfabriquées, il y a donc, dit le film, des discours pré-pensés, des moments pré-vécus. Quand les femmes se retrouvent pour une virée au centre commercial, et dégustent un McDo entre deux emplettes, le déjeuner ressemble littéralement à une pub pour l’enseigne : c’est une pure représentation publicitaire. Cette logique est poussée à l’extrême dans la scène la plus intéressante du film : l’une des voisines invite ses amies à prendre le café, et déballe ses capsules Nespresso en les énumérant sur un ton d’automate. S’ensuit une discussion caricaturale sur la marche du monde, au cours de laquelle les femmes parlent comme des robots déréglés, révélant par l’absurde la nature monstrueuse d’une existence mécanique. Mais, de même que ses héroïnes sont piégées par les tâches quotidiennes, le film se laisse happer par une mise en scène routinière, et tiède comme de l’eau de vaisselle.

 

Car La Vie domestique n’arrive pas à mépriser le confort, mais seulement les compromis qui le conditionnent, et se retrouve comme pris au piège de l’aliénation dénoncée, à laquelle il ne trouve aucune échappatoire. En témoigne l’échec cuisant des tentatives de sortie de ce territoire balisé, négociées par la réalisatrice lorsqu’elle porte son œil avisé sur la banlieue pauvre toute proche – comme ce détour scénaristique par l’infanticide d’une fille mère au bout du rouleau, figuration maladroite du retour de refoulé de nos desperate housewives. L’échec le plus notable reste la scène de classe dans un lycée de ZEP, qui n’a rien à envier à La Journée de la jupe. Juliette donne bénévolement des leçons de littérature dans l’établissement. Les lycéennes ont droit à une mise en scène dynamisée (caméra portée, coupes nombreuses) pour coller au plus près de leur spontanéité sauvageonne d’adolescentes à problèmes, et pour capter la naissance de la compréhension d’un texte littéraire (clin d’œil à Virginia Woolf). Retrouvant pour le pire la caricature de la première scène, la cause féministe est vouée  dans cette séquence au même ridicule. Où l’on voit comment la misogynie est déjà infiltrée dans ces petites têtes (qui traitent de « salope » la fille mère de la classe), mais aussi qu’il suffit que l’une d’entre elles comprenne la sensibilité Woolf pour assurer la pérennité de la révolte des femmes. Si La Vie domestique choisit avec justesse certains de ses objets (le personnage du mari, notamment, qui perpétue malgré lui la domesticité féminine sur un mode enfant et homme), il se contente du confort pauvre qui est aussi celui de la femme de l’affaire : haïr ce que l’on voit sans être capable de suggérer un monde qui ne serait pas régi par les lois de La Vie domestique.