En mars 2001, la France vivait avec six mois d’avance une sorte de 11 septembre gogol : échappés de la ménagerie Canal, Éric et Ramzy lançaient l’assaut sur la tour Montparnasse, récoltant à la fois l’adhésion du public et celle d’une frange de la critique pas franchement acquise d’avance. La Tour Montparnasse infernale les révélait de fait en nouveaux rois du burlesque français, champ de ruines sur lequel les deux zigues allaient continuer de régner bon an, mal an, de Seuls Two à Platane en passant par les cauchemars bigarrés de Quentin Dupieux. Mais la réussite de La Tour tenait en vérité moins d’un coup de force que d’un accident miraculeux : si le film étonnait à ce point, c’est qu’un génie indicible se logeait dans sa manière d’aller trop loin, de déraper, de fourrer les pires dialogues régressifs dans la bouche de deux blaireaux subitement touchés par la grâce.

Cette grâce mystérieuse était celle de l’absurde, et Judor – qui s’offre les pleins pouvoirs de la mise en scène, enhardi, de son propre aveu, par l’expérience de Platane  tente ce coup-ci de l’atteindre directement, sans laisser libre cours au hasard et aux sorties de piste. La Tour 2 contrôle infernale vise donc un maelström nonsensique calibré, calculé, en fausse roue libre. Il y a d’abord le pitch, calque du précédent dont le trait ubuesque aurait été forcé : en 1981, soit vingt ans avant les événements du premier film, nos deux subalternes officient comme valeureux pilotes au sein de l’armée, avant qu’un malheureux test à bord d’une centrifugeuse ne cause leur dégénérescence mentale. Moyen pour le tandem de s’en donner à coeur-joie sur le registre du borborygme de collégien arriéré, en plein contexte rétro (verres fumés et moustaches à la Pinot, simple flic). Il y a ensuite le casting : mêler Katerine aux revenants du premier volet (Foïs, Riaboukine), c’est évidemment promettre un métissage du rire franchouillard, impulsé par le phrasé céleste du chanteur poitevin.

Rien de tout cela n’est particulièrement rédhibitoire sur le papier, d’autant que Judor saisit l’importance d’offrir à ses acteurs un terrain de jeu où s’ébattre pleinement. Ce sera donc l’aéroport de Bruxelles, pris en otage par Katerine et ses sbires moustachus, et où les compères se sont reconvertis en bagagistes sous-doués. Avec ses tapis roulants et ses conduits noueux, le complexe où se poursuivent tous ces branquignols évoque une gigantesque piscine à balles. Le hic, c’est la part artificielle de leurs chassés-croisés : on sent bien le désir de parasiter volontairement chaque interaction à grands renforts de bégaiements, de silences gênés, de gags répétés ad nauseam, jamais très loin de la logique de surchauffe typique de la galaxie Adult Swim – l’aéroport changé en petit théâtre gore (Ramzy voit sa carcasse placide vidée de son sang) rappelle d’ailleurs le mall craspec de Tim and Eric’s Billion Dollar Movie. Mais chaque déraillement sent l’improvisation forcée, la revendication d’une dinguerie plus mûre et étudiée que celle de la première Tour – l’absurdité devenant également un passe-droit pour s’autoriser les pires facilités (climax mutilé, dénouement en queue de poisson, courses-poursuites flagadas).

Curieux d’ailleurs de voir comment Éric, comme s’il craignait de trop chauffer les cerveaux à blanc dans le rangs des multiplexes, distille des instants de respiration destinés à faire une place au public de H aux côtés de celui de Platane. La malice enlevée de Katerine et les vieux automatismes du tandem se télescopent alors, ne laissant personne indemne. Un peu dada, un peu keatonien, un peu bourrin, Judor n’est finalement nulle part à force de vouloir fédérer toutes les audiences. Dommage, vraiment: plutôt que de viser ces exploits d’entremetteur du rire, il aurait tout à gagner à laisser parler son sens burlesque inné. Que ce soit dans ses baskets d’auteur ou de comédien, Éric atteint ses plus beaux pics de folie enfiévrée lorsqu’il décomplexe le gogol nu et entier qui sommeille en lui.

1 commentaire

  1. En mars 2001, la France vivait avec six mois d’avance une sorte de 11 septembre gogol
    MERCI CHRO, CONTINUEZ DE NOUS FAIRE VIBRER

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