Stéphane Miroux (Gael García Bernal), un garçon débarqué de l’étranger, parlant à peine français, vient travailler à Paris dans une petite boîte minable qui conçoit des calendriers érotiques. Déçu par ce qui s’annonçait comme un passionnant travail de graphiste, sa mère (Miou Miou) absente, le jeune homme est pris d’assaut par de multiples rêves qu’il peine à organiser et parfois débrouiller de la réalité. Stéphane Miroux fait connaissance de sa voisine de pallier (Charlotte Gainsbourg) qui tombe amoureuse de lui alors qu’il n’a d’yeux que pour une autre fille… Réalité brinquebalante, monde de papier mâché et de carton-pâte, Gondry a l’imagination baladeuse. Mais l’imagination seule n’est pas forcément une garantie de réussite.

Cet univers bricolé est beaucoup plus libre et infiniment moins antipathique que le cinéma de brocanteur passéiste à la Jeunet, mais on y retrouve les mêmes symptômes, les mêmes limites : une manière de concevoir le cinéma comme un mécano d’enfant, dans lequel la sensation d’un film comme grand corps mouvant, comme totalité, disparaît derrière un rafistolages de saynètes toutes plus ou moins autosuffisantes, que seule la logique du scénario permet de tenir ensemble. D’où une certaine impuissance à mettre en scène le temps et l’espace (à travers la durée des plans, le jeu sur les échelles ou le montage, tous assez pauvres), ainsi que le rythme (confondu avec la précipitation, jusque dans les moments les plus dépressifs du film). Gondry, qui a pourtant su magnifier les questions rythmiques dans ses meilleurs clips (Come to my world de Kylie Minogue ou Star guitar des Chemical Brothers), échoue ici à trouver la bonne mesure, une alternance dialectique de tempos qui sauraient insuffler une énergie cinétique à ce film brouillon et empressé. C’est que le passage du clip au film n’est pas simplement l’allongement d’une durée, mais bien un véritable changement d’échelle. Une recette appliquée au clip ne fonctionne pas nécessairement quand il s’agit de l’étendre à un long métrage.

Il y a une science autrement plus convaincante dans le cinéma de Gondry, celle des acteurs. Ce sont eux, principalement, qui sauvent le film du mécano et apportent un peu de densité et de poids à cet univers papillonnant, même si le casting tient quelque peu du collage surréaliste (Miou Miou en mère de Gael García Bernal, vous y croyez, vous ?). Gondry, manifestement, aime les acteurs, mais sa caméra a encore peur de se poser sur eux, si bien qu’elle vibrionne d’un corps à l’autre sans jamais épouser leurs mouvements, curiosité là aussi puisque Gondry n’a plus à prouver qu’il sait regarder un visage (Björk) où s’attacher aux déplacement d’un corps dans un espace (Kylie Minogue). Mais au moins cette Science des rêves finit, en bout de course, par saisir une émotion sans apprêts, dépouillée des artifices et des coups de coudes aux spectateurs qui rendent les films de Jeunet si détestables. Le film de Gondry n’hésite pas à s’aventurer du côté d’une réalité terne et laide, jusqu’à refuser de masquer les rides trentenaires de Charlotte Gainsbourg. Ces velléités réalistes ne s’accommodent pas toujours bien des envolées rêveuses de son univers, mais l’intérêt tient aussi à ce que, précisément, l’histoire qui nous est contée, celle de Stéphane Miroux, est l’histoire de cet échec.