Lors du dernier Festival de Cannes, une émission radio réunissait Samira Makhmalbaf et Moufida Tlatli qui, chacune, s’exprimaient sur leur condition de réalisatrice en terre musulmane et sur les difficultés d’expression qu’elles pouvaient rencontrer dans leur pays. Face à l’auteur du Tableau noir, dont la très médiatique verve faisait feu de tout bois, Moufida Tlatli développait un discours posé mais néanmoins indigné et fort bienvenu sur la situation actuelle du cinéma maghrébin, et en particulier sur le statut accordé aux intellectuel(le)s aussi bien en Tunisie qu’en Algérie ou au Maroc. Après Les Silences du palais, un premier long métrage plutôt bien accueilli lors de sa distribution en France, la réalisatrice poursuit sur sa lancée avec La Saison des hommes, désireuse de donner à entendre une voix de femme et de dénoncer les divers moyens par lesquels les paroles d’épouses, de mères, de filles sont bâillonnées par une société fondamentalement traditionaliste.

Elle atteint ici partiellement l’objectif qu’elle s’est fixé, en réitérant du côté de l’écriture sa collaboration avec le cinéaste Nouri Bouzid (L’Homme de cendres, Bezness). Probablement influencée par sa formation de monteuse -elle a en effet travaillé pendant de longues années pour Merzak Allouache, Nacer Khemir, Michel Khleifi ou Ferid Boughedir-, Moufida Tlatli a développé un récit à cheval sur deux époques, sur deux jeunesses : celle d’Aïcha qui, à dix-huit ans, épouse un villageois qui l’abandonne à sa mère pour travailler à Tunis et ne revenir qu’un mois par an, le temps de cette fameuse « saison des hommes » attendue par toutes les femmes mariées de la région avec la même impatience et celle, quelque vingt années plus tard, de ses propres filles, qui, elles aussi, vont se retrouver face à des décisions en porte-à-faux avec une société qui a évolué mais ne leur accorde toujours pas la place ni surtout l’indépendance nécessaire à leur épanouissement.

A partir de cette trame narrative assez classique qui alterne flash-back et retour au temps présent, Moufida Tlatli, si elle se montre avisée dans son choix d’interprètes et sa direction d’actrices, semble trop préoccupée par ses revendications pour échapper à la démonstration qui, il faut bien le dire, se fait de plus en plus pesante à mesure que progresse la fiction. Une caméra raisonnable, figée, raidie, capte les mouvements des personnages mais s’en éloigne à un tel point qu’elle ne peut en communiquer les sentiments ni la douleur supposée. Les comédiennes, Rabia Ben Abdellah en tête, s’impliquent entièrement mais deviennent peu à peu impuissantes face à l’académisme ambiant qui les étouffe. La Saison des hommes demeure néanmoins un film estimable, même si aucune idée véritable de cinéma ne le traverse jamais. Les vérités qu’il énonce sont bonnes à entendre, encore eût-il fallu les formuler avec une force qui passe non seulement par la pensée et la conviction, mais aussi par l’image.