La vague des films post-11 septembre qui nous arrive tranquillement est un peu plus retorse qu’on aurait pu l’imaginer. Si le versant biscotos et revanchard de la réaction traumatique tente de faire les beaux jours du box office sans se poser de questions (Un Homme à part, avec Vin Diesel), la crise de conscience n’est pas absente, même de films apparemment simplistes comme cette Recrue. De prime abord, le film n’est pas avare en abominations en tous genres, depuis l’apologie du dualisme axe du Bien / axe du Mal jusqu’à de très douteuses répliques frôlant le racisme pur et simple (une supposée méchante étant d’origine franco-algérienne, « tout s’explique »). Mais passé un pincement au cœur consécutif à la vision d’un Pacino se prêtant à ce plaidoyer pro-Bush, le film se révèle par endroits presque attendrissant dans sa manière de se débattre avec un malaise propre à l’Amérique qu’il avait cru pouvoir enjamber d’un saut de cabri.

Sans cesse égaré dans les sillons qu’il creuse lui-même, La Recrue emprunte plusieurs voies successives. D’abord, une déclaration d’amour à la CIA, secoué par les critiques après le 11 septembre, et qui se voit replacée ici sur son piédestal : un jeune et brillant hacker (Colin Farrell) est recruté par un vieux loup (Al Pacino), et transformé en agent secret au sein d’une institution dont on insiste avec révérence sur la grandeur et l’excellence. Ensuite, angoisse : la CIA, toute sublime qu’elle puisse être, n’est pas à l’abri des traîtres et des crapules vénales, et si elle est malade, c’est forcément la faute d’un corps étranger… à moins que -hypothèse- elle ne soit pourrie de l’intérieur. Enfin, levée des apparences et fuite angoissée dans une avalanche de rebondissements et de coups de théâtre. La vérité de La Recrue est à chercher dans ce recours à l’accumulation des retournements de situation. De véritable remise en question des institutions et du pouvoir, il n’en est jamais réellement question ici. Roger Donaldson (Cocktail, Guet-apens, Le Pic de Dante…) reste un cinéaste simple, et l’ambiguïté de son film n’est que surface. Contrairement au récent Basic de McTiernan, où le simulacre aberrant devenait la tourbillonnante chair du film lui-même, soulignant au passage toute la finesse aristocrate du cinéaste, le déchaînement des révélations et de faux-semblants dispersés tous azimuts n’est que le signe morbide d’une sinistre idéologie où tout se vaut et s’équivaut. Fake pour fake, on préfère nettement la nervosité récréative du Spy game de Tony Scott, autre film sur la CIA qui avait le courage d’aller jusqu’au bout de sa logique, donc d’être cynique et sans idéal.