Etrange comme les années de plomb s’imposent dans l’Italie de Berlusconi comme un simple filon de cinéma populaire, un genre hybride mêlant le polar d’action et le mélo, à l’intérieur duquel le questionnement politique vaut surtout comme motif folklorique. Si La Prima linea passait pour sulfureux en tant que projet, puisqu’adapté de l’autobiographie de l’ex-terroriste Sergio Segio, la polémique retombe comme un soufflé au bout d’une quinzaine de plans. Les associations de victimes d’organisations craignaient du film qu’il sublime les gauchos sanguinaires des Brigades rouges, mais c’est plutôt la repentance qui domine sans partage, martelée à longueur de plan.

Tout commence par des aveux. Arrêté à Turin, Segio balance tout aux flics, menottes aux poignets, en camarade digne, mais conscient d’être pris le doigt dans le pot de confiture. Défilent alors les origines de la lutte, les premiers attentats, les derniers, ultra-sanguinaires, une histoire d’amour avec la militante Susanna dont l’apogée – une évasion spectaculaire orchestrée par l’organisation révolutionnaire – est aussi le chant de cygne. En racontant, Segio s’excuse, se justifie, digne d’un accusé de procès stalinien. Sans ironie excessive, c’est en tous points la mécanique du film, qui coagule aveu et sentence dans la même image, sans l’aide d’un juge ni d’un avocat. Pas une once de part refoulée dans le récit, ni la moindre zone d’ombre : on ne relâche jamais la bride idéologique, soucieux de recadrer tout acte terroriste par un scrupule, un regret (voix off culpabilisante à chaque meurtre, leçon de morale du copain repenti au bistrot).

Il y a bien une raison à cette angoisse du débordement, puisque le film ne renonce pas à débiter du lyrisme à la chaîne, bien décidé à exploiter l’exaltation révolutionnaire des années de plomb. De film de guerre, La Prima linea s’impose donc très vite en grande histoire d’amour, structurée en une saga feuilletonesque honnêtement troussée, où l’histoire est avant tout une question d’esthétique (plaisir de la reconstitution des seventies, images d’archives au ralenti, rouflaquettes et moustaches à gogo). En résulte une contradiction, que la mise en scène n’arrive jamais à dépasser. On sent bien, d’un côté, les rêves d’opéra et de flonflons (fin d’une époque, révolution manquée, acteurs beaux comme des héros de la série Arlequin) ; de l’autre un surmoi idéologique sujet à l’assèchement (la virtuosité à la Leone n’est qu’un fantasme), voire à l’évidement pur et simple de son sujet.