L’effet-surprise surexploité des films-chocs à la Coréenne étant un peu passé, Breathless – un des meilleurs réalisés ces dernières années – a mis un temps fou à nous parvenir. Les premières séquences laissent redouter un énième film de baston sauce piquante, peuplé de trognes douteuses (ici Sang-hoon, une petite teigne recouvreuse de dettes qui enchaîne les tabassages sans le moindre scrupule) naviguant à vue dans la grisaille bétonnée des faubourgs de Séoul. Le film est d’une efficacité formelle peu surprenante dans le genre, multipliant les cadrages à hauteur d’homme et les prises de vue à l’arrache, dans une furie documentaire qui laisse la part belle aux décors désolés de la cité. Rien de neuf sur ce point, mais force est d’admettre la marge que garde ce cinéma-là dans le domaine du drame social mixant sauvagerie néoréaliste et virtuosité purement technique d’un actionner réalisé pour quelques wons.

Tout, dans Breathless, semble répondre à une suite de réflexes pavloviens sur un thème rebattu au fil des années, et qui n’est pas sans rappeler le beau Peppermint candy de Lee Chang-dong dans sa façon de renvoyer drame psychologique et thriller pulsionnel vers un même horizon de porosité morale : la violence de Sang-hoon n’est qu’un épanchement, elle est la redite mécanique d’une violence familiale elle-même héritière d’une violence historique ayant semé la désolation sur son passage. Aucun espace du film (intime, familial, politique, psychologique…) n’échappe à cet accablement général, chaque personnage s’ouvrant en une constellation de doubles (la petite amie du héros, à l’histoire quasi-identique), chaque territoire (confinement domestique, manifs de rue, règlements de compte dans des lieux en marge) se laissant embraser par cette traînée de poudre. De ce point de vue, le personnage principal devient une sorte de super-héros dont chaque élan – fut-il amoureux – renvoi, via son apparente insensibilité et son rapport traumatique au monde, à une sorte de désastre national.

Breathless atteint ainsi son meilleur dans cette part finalement très mélo, grâce notamment au personnage de la petite amie du Sang-hoon. Le cliché de la femme-enfant se renverse à mesure que celui du héros viril se désintègre sous les assauts de son désir (la très belle scène d’effondrement sur les rives du fleuve Han). Puisant une sorte de contre-énergie lyrique dans cette romance à l’eau de rose, le film bascule dans un entre-deux très retors, pataugeant dans une ambigüité (celle du bouleversement intime de son héros) tout à fait inattendu dans un genre habitué aux récits bruts et aux figures taillées à la serpe. Dans ce mouvement, Breathless trouve probablement dans le personnage du neveu renfermé, petit fantôme bouleversant vers lequel revient constamment Sang-hoon, une forme de point d’achoppement de cette furieuse compression d’émotions. Marquant d’abord par son explosivité folle et les énergies inouïes qui le secouent, Breathless s’impose finalement comme un beau mélodrame blessé, à la pudeur confondante.