À la fin des Origines, les primates emmenés par César, le chimpanzé guévariste, trouvaient refuge dans les forêts d’une Californie apocalyptique. Ce retour aux sources laissait augurer la logique sérielle de la nouvelle franchise : avant de devenir les maîtres du monde, les singes devaient d’abord instaurer un fragile statu-quo avec l’humanité dans un second acte plus dantesque. C’est donc ce statu-quo, et sa mise à mal, que raconte L’Affrontement. Souverain pacifiste, César est contraint d’envisager la guerre avec les Hommes, alors que ceux-ci traversent son territoire pour réparer une centrale électrique, et ainsi assurer leur survie.

De quoi faire de L’Affrontement un conte fluide et pleinement immersif, dispensé des lourdes métaphores politiques parfois colportées par ce genre de grosses Berthas. Tout comme la civilisation repart de zéro, le blockbuster fait ici sa tabula rasa et s’en remet à l’éthique la plus essentielle. Sur un mode quasi fordien, un débat s’articule du campement de César jusqu’à San Francisco, changée en ville de garnison branlante où un Gary Oldman fébrile chapeaute la communauté. L’enjeu est symétrique : les missionnaires scientifiques composent avec les humains les plus belliqueux, et César, subissant une mutinerie, doit regagner la confiance des singes insurgés (emmenés par Koba, bad guy un peu balourd mais gagnant en perfidie). Le problème est donc le même de part et d’autre : s’agit-il de se liguer d’un bloc contre le camp adverse pour favoriser la survie de son espèce, ou bien de privilégier certains principes moraux, quitte à aller contre ses semblables ?  Loin de fabriquer un sommaire reflet de l’Amérique, L’Affrontement s’en tient à ces questions de fable quasi matricielle, encore une fois plus proche de John Ford que des paraboles sur le contemporain  – c’est l’éternelle question de la cohabitation et du partage du territoire qui se pose là, opposant pionniers et Indiens pour mieux les confondre peu à peu.

Cette confusion finit d’ailleurs par rendre le film moins classique qu’il n’y parait. C’est que la concurrence entre les hommes et les singes se joue moins sur le champ de bataille, finalement, que sur le terrain de l’identification. Arrivé sur les talons de Transformers 4, L’Affrontement présente au moins un point commun avec son rival : la place de l’humain y pose problème. Le film de Michael Bay confirmait le désir du blockbuster d’en finir avec la chair organique, en déplaçant les valeurs d’héroïsme et de vertu vers les fringants Autobots. Chez Matt Reeves, les singes héritent à leur tour des questionnements humains les plus fondamentaux, et par là même, du statut d‘action heroes. En charge du show épique, les guerriers velus se substituent à l’humanité de façon plus nette encore que les robots chez Bay (à la tête des chercheurs hominidés, Jason Clarke officie avant tout comme témoin, là où James Franco formait un vrai tandem père-fils avec César dans le premier volet).

En termes de mise en scène de l’action, cette prise de pouvoir des primates plonge L’Affrontement dans un entre-deux à la fois problématique et fascinant. Problématique, parce que malgré les prouesses de la mocap’, parvenue ici à son meilleur, Reeves n’ose pas aller jusqu’au bout en termes d’identification à ces drôles de corps en mouvement (ainsi le recours à la caméra subjective quand Koba assaille la base humaine à bord d’un tank : pourquoi ne pas oser filmer le singe lui-même surplombant ce char enragé, sinon par peur du manque de crédibilité ?). Contrairement à des personnages entièrement animés (ou même aux bons vieux fantoches en go-motion façon Harryhausen), les combattants simiens restent d’étranges créatures à mi-chemin entre l’homme, le singe et l’acteur de motion-capture drapé dans les pixels. Hésitant entre plusieurs peaux, ceux-ci ne s’assument pas tout à fait comme héros d’aventure. C’est dans doute la limite du jeu d’Andy Serkis : cette urgence de rappeler lourdement, par mimiques parfois forcées, que César est hanté par tous les tourments du genre humain.

Mais la fascination constante vient aussi de cette fusion, certes bringuebalante mais toujours téméraire, entre la représentation des hommes et celle des silhouettes numériques. Parce qu’elle est au service de l’ambition première de cette nouvelle franchise : profiter du reboot pour observer pas à pas, à travers la gestuelle des singes et dans la lueur de leurs regards, l’éclosion progressive de l’intelligence humaine. Confier l’action à des animaux hybrides – mi-hommes mi-pixels – n’est pas qu’une lubie next-gen, c’est l’occasion de remonter aux sources de l’héroïsme (tout comme le script fait l’archéologie du politique, des notions de peuple et de communauté). On pardonne donc volontiers à Reeves les quelques failles de sa vision : comme l’histoire humaine, la conquête des singes est en soi un processus lent et hasardeux.