Devant une première partie parisienne qui évoque aussi bien les Godard pop avec Karina (Une Femme est une femme, Made in USA) que les premiers Truffaut, on soupçonne d’abord Peretjatko de se glisser dans l’histoire du cinéma français comme on enfile des charentaises. Confort et bonne humeur rétro : c’était déjà, dans un registre à la fois lointain et proche, la limite dont souffrait le film de Guillaume Brac,Un Monde sans femmes, qui singeait joliment le cinéma de Rozier. On apprécie toujours de recevoir ce genre de film-carte postale aux paysages réguliers, tout en ne pouvant  s’empêcher de penser à tous les autres paysages possibles et aux jeunes cinéastes qui, eux, tentent de capter une vibration plus contemporaine de la France (dans les mêmes parages : Justine Triet ou Virgil Vernier). Par nature, ces films rétro sont condamnés à n’être que de beaux objets gentils un peu trop facilement oubliables.Avec La Fille du 14 juillet, cela commence dès le générique : la place de l’Etoile au petit matin de la fête nationale, avec ses militaires qui bâillent, ses présidents qui marchent en accéléré, et la fille 14 juillet qui traverse la place avec son panier, vend ses bidules et ses journaux à la criée comme Jean Seberg arpentait les Champs-Elysées avec son Herald Tribune, sauf que Truquette (c’est son nom) est coiffée comme Anna Karina. Le cinéma français réduit à l’état de petit automate qui avance tout seul, la France filmée comme un pays de Cocagne en crise (voir l’incroyable documentaire du même nom de Pierre Etaix qui faisait de la profusion tous azimuts l’envers d’une petite apocalypse comique)où la France du Front Populaire côtoie celle de Sarkozy.

 

Peretjatko n’inscrit finalement son film nulle part, c’est une sorte de fumée temporelle sans territoire, un alignement de boules à neige qui se secouent les unes après les autres.  La deuxième partie n’est plus qu’un cadavre exquis cinématographique qui avance en dépiautant jusqu’à l’os toutes ses références. Dès qu’une référence s’épuise, Peretjatko en injecte une autre dans la machine, d’où cette impression de surface grumeleuse qui accumule sans jamais capitaliser. Une fois tout dépensé, le film peut enfin se mettre à composer sa propre musique. Tout y passe : Tati, Rozier,  Etaix, Godard, Rohmer, Truffaut, et Blake Edwards, et Peretjatko trouve ainsi sa propre issue dans son autisme référentiel : le folklore local se transforme en fétichisme onirique. De la plage des vacances ne reste plus qu’une mer de vase qui s’étend à perte de vue, un parasol tout rouge, Il y a ici une logique d’hystérisation visuelle logée dans les moindres détails : lors de cette scène très drôle de repas où les verres de vin sont trois fois plus nombreux que les convives, ou encore plus tard, cette casserole de spaghettis débordante dans la piaule de vacances de quelques crevards vacanciers. Effet de profusion burlesque, comme si les objets se mettaient à « mousser » (comme à la fin de The Party que le film cite explicitement), comme on répète un mot jusqu’à ce qu’il soit réduit à sa surface orale.

 

Le film donne l’impression d’être un mille-feuille d’images sans fond, un folioscope sans fin, comme celui que feuillette Truquette et qui constitue la matière de ses rêveries – une fille solaire qui est dans la lune. C’est en outrant ses références que La fille du 14 juillet devient carte postale mentale, enfilade de diapositifs intérieurs – les décors de cinéma sont la doublure des rêves d’amour. C’est d’ailleurs ce qui constitue la plus belle idée du film, lorsque Truquette rejoint Hector en rêve dans des paysages enneigés – comme si une carte postale rêvait d’une boule à neige.