Complètement passé inaperçu lors de son unique et tardive projection au Festival de Cannes 2002, La Cité de Dieu aurait pourtant mérité une plus grande attention critique, histoire de dynamiter une Sélection officielle un rien plan-plan. Oeuvre épique se déroulant sur trois décennies, des années 60 aux années 80, La Cité de Dieu raconte la vie d’une poignée de personnages dans la banlieue de Rio qui donne son nom au film. L’objectif de Meirelles : montrer les transformations d’un quartier qui passe de la petite criminalité, genre attaque à main armé du fourgon qui apporte le gaz, à l’introduction de la drogue dure et l’organisation d’une économie parallèle fondée sur le deal. Loin du plaidoyer didactique, le cinéaste choisit de focaliser son point de vue sur une bande de jeunes que l’on suit de l’enfance à l’entrée dans l’âge adulte. Gosses vêtus de guenilles prêts à dégainer un flingue pour un morceau de poulet telle est la vision à laquelle nous confronte Meirelles qui choisit de montrer sans ambages la violence du code de vie qui régit la Cité de dieu. Les images chocs sont nombreuses, d’autant plus renforcées par la juvénilité des héros, et pourtant, Meirelles échappe à l’approche sensationnaliste du reportage télé grâce à une foi jamais démentie dans les vertus d’un récit construit sur le mode de la légende.

Et pour que ces histoires de rue acquièrent un statut mythique, rien de tel que de se munir de héros charismatiques. Tignasse, Petit Dé, Fusée sont quelques uns des personnages jalons qui apportent une dimension humaine dans ce vaste chaos décrit par Meirelles. Conçu à partie de l’enchevêtrement de multiples anecdotes, La Cité de Dieu fourmille de trognes et de silhouettes auxquelles Meirelles parvient à chaque fois à donner vie. On n’est ainsi pas près d’oublier le regard d’un petit garçon dont on ne se souvient même pas du nom, entr’aperçu le temps d’une scène et retrouvé plus tard gisant sur le trottoir, criblé de balles. Passant de l’un à l’autre de ses personnages avec une confondante fluidité, Meirelles trouve sa rythmique dans la scansion presque ininterrompue des intrigues. Même les quelques tics de mise en scène (les accélérés soudains) finissent par trouver leur justification dans cet ensemble qui mise à la fois sur une réalité sordide et un récit fictionnel. La Cité de Dieu rend ainsi leur « existence » aux gamins qui hantent les bidonvilles du monde entier, ceux-là même qu’on relègue trop souvent aux courbes abstraites des statistiques brandies par les organismes internationaux.