L’Ombre d’Andersen est un dessin animé très étrange combinant la vie du génial conteur danois et ses contes. Ce mélange intelligent est l’incontestable réussite du film d’autant plus attestée par une certaine poésie ne laissant pas insensible.
À Odense vit le jeune Andersen ; garçon sensible, rêveur, curieux mais seul. Il communique avec les animaux et n’a comme obsession que celle de devenir célèbre. Plus tard, il quitte sa ville natale pour le théâtre où il ne s’imposera pas, mais dévoilera déjà, une personnalité originale. Accompagné d’un petit canard, Andersen va voir son ombre réagir, « vivre » seule et indépendamment de l’écrivain qu’il est devenu. Cependant, l’ombre d’Andersen, issue de la personnalité refoulée du conteur, va rivaliser avec ce dernier qui ne tardera pas à être dépassé par les événements.

Ce dessin animé ne laissera sans nul doute pas indifférent ni le jeune spectateur, ni l’adulte qui l’accompagnera. En effet, il nous propose de plonger dans le monde du conteur Andersen qui n’eut pas la vie facile mais qui sût la gérer avec son imagination et sa sensibilité. Andersen ne fut certainement pas heureux dans sa vie sentimentale et la refoula en se créant son univers propre entouré de victimes comme lui, que ce soit des animaux (escargot, crapaud, canard…) ou des êtres humains (la petite fille aux allumettes, « la bonne à rien », la petite sirène…). Il écrivit également un conte intitulé justement L’Ombre. Ce dernier est très représentatif de l’œuvre du conteur dans sa tonalité légère, dans la mélancolie du personnage principal et dans sa chute fataliste condamné par l’ordre des choses à être victime. Il est également assez surprenant dans son utilisation d’un thème moderne préfigurant par ailleurs la psychanalyse : le dédoublement. L’Ombre raconte l’histoire d’un savant et de son ombre qui, se libérant de son « maître », ne tardera pas à lui prendre sa place. Cependant, dans ce dessin animé habile et « artisanal » (entièrement dessiné à la main), il ne s’agit plus de l’ombre du savant mais de celle d’Andersen. Ainsi, on rejoint aisément l’esprit créatif et fantastique du 19e siècle : le dédoublement cher à Stevenson (Le Docteur Jekyll et M. Hyde) ou Maupassant (Le Horla), les notions respectives du bien et du mal, la sauvegarde de son âme face au diable (Goethe, Wilde, Poe)…Le dessin animé s’est nourri de tous ces ingrédients pour rendre un hommage évident à un poète qui s’est avéré être, avec le temps, le ventre créatif de tous les artistes, victimes d’eux-mêmes et des autres. Ces derniers créèrent à profusion, selon l’héritage laissé par Andersen, pour se détourner du monde hostile les entourant qui ne leur laissait pas de places possibles.

Les créateurs de L’Ombre d’Andersen ont eu la bonne idée d’associer vie et œuvre d’un auteur qui a bien plus vécu de par son imagination inflexible que par sa vie. De cette vie est née une mélancolie sous-jacente aux contes et la présence ineffable de la fatalité. Le dessin animé de Jannik Hastrup et de Bent Haller ne néglige pas ces « legs », mais les transcende à la manière d’Andersen pour lui rendre un hommage émouvant comme vous le certifiera la scène finale où émotion, poésie et lyrisme se confondent.